23.12.22

Marché quatorze kilomètres dans les collines environnant Cotignac. Sans le vouloir ni le savoir, à force de marcher, je me retrouve sur le chemin des pèlerins qui conduit à Notre-Dame-Dames-des-Grâces, là où les 10 et 11 août 1519 la Vierge apparut au dénommé Jean de la Baume pour lui demander, logique, d’aller dire aux villageois d’en bas de monter en pèlerinage au lieu de son apparition et d’y bâtir une église. À l’exception d’une vieille dame à vélo descendant la pente en roues libres, moi, de pèlerins, je n’en aurai croisé aucun, ni frère Fiacre ni Roy Soleil, mais des automobilistes, oui, et un motard, à l’arrêt. Marie bénit-elle les bikers ? Dieu seul le sait. Le pèlerin, de fait, me dis-je, c’est moi. Pas de crise mystique, cependant. De la journée, pour ma part, tout ce qui me sera apparu, c’est l’odeur de mes pieds en me déchaussant une fois rentré au bercail. Arrivé là-haut, donc, toujours sans ni le savoir ni le vouloir, je pousserai vers le monastère Saint-Joseph du Bessillon, que je ne trouverai jamais. Passant en contrebas, je suppose, du lieu où il se trouve (la carte numérique confirmera l’indicible proximité), je serai pris de panique à l’idée de me perdre, de faire une mauvaise chute et de mourir dévoré par une famille de sangliers affamés (et il y a de quoi en nourrir une nombreuse). Aussi, quand il me semblera entendre des bruits suspects, je me déciderai à faire demi-tour, inventant dans ma trouillarde fuite les quelques vers d’une parodie involontaire de la poésie moyenâgeuse que voici : « M’estant esgaré en soltaine cumpaignie, J’erray sur la sente redde, Non sans paour ni vain corage, sans etc. » Mais de bêtes non plus, il n’y en aura point, rien qu’un chien avec son maître lequel, à en juger par le regard mi-craintif mi-soupçonneux qu’il me jeta en m’apercevant, semblait tenir dans son sac en toile force biens précieux. Des truffes, peut-être ? Je le penserai, en effet, mais ne dirai rien que : « Bonjour », de crainte de prendre un mauvais coup. Toujours marchant, je note des remarques concernant la marche, l’expérience du marcheur. Que la marche, c’est grosso modo ce que j’ai noté dans mon cahier au bison rouge une fois rentré au bercail, est une mystique immanente. De l’immanence, le mal que me font mes pieds mal chaussés pour le pèlerinage improvisé, en atteste. Quant à la mystique, sait-on jamais ? Le ciel bleu qui surplombe cette après-midi d’hiver n’est-il pas à soi seul un mystère ? Arrivé quasi à destination, je lèverai la tête au ciel pour n’y trouver aucune clef.

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