Il ne s’agit pas d’échapper à la réalité, mais de la pénétrer jusqu’à se métamorphoser. (Métamorphoser le moi.) Tout peut changer même si rien ne semble changer. Je crois que je veux dire quelque chose comme ceci : ne crois pas que tu puisses changer le monde, changer les choses, cherche une autre forme de transformation, dans un acte, peut-être, une décision, une déclaration d’indépendance, un geste, qui change la façon dont tu perçois les choses, dont tu te rapportes à elles, dont tu les envisages, dont tu agis parmi elles. Ce sont toujours les mêmes et pourtant, en tout rigueur, les choses n’ont plus rien à voir avec elles-mêmes. Déjeuner avec P. Prends en note ce qui suit : Pancrace Royer, Le Vertigo et Straub & Huillet, Sicilia ! Bonheur simple et vrai de parler, de partager un repas, de vivre quelques heures ensemble, bonheur simple certes, mais le plus vrai qui soit, je crois, quelques heures quand tout semble naturel, quand tout semble évident. La culture ne doit pas être quelque chose de lourd, un poids qui pèse, la culture ne doit pas se faire sentir, elle doit paraître une seconde nature : nous devons pouvoir être plus léger, plus heureux, plus franc, plus sincère, plus authentique par sa grâce que sans. Est-ce une critique de la déconstruction systématique de la culture ? J’ai beau me poser cette question, ce n’était pas de cela que je voulais parler, peut-être même voulais-je dire tout à fait autre chose que cela. Car non, ce la-là ne m’intéresse pas. Il me faut des choses plus simples, plus réelles, oui, plus réelles, comme ceci sur quoi nous tombons d’accord P. et moi : que, dans ces contrées méridionales, la plus belle lumière est celle de l’hiver. Pourtant, ne rêvé-je pas déjà de Sicile, de terre brûlée par le soleil cruel de l’été, des imaginaires sandales d’Empédocle et de la pierre des temples. Plutôt que de te demander : Où sommes-nous quand nous rêvons ? demande-toi : Où sommes-nous quand nous ne rêvons pas ? Sommes-nous seulement ? Me suis coupé aux deux mains, sans douleur mais non sans sang. Quasi un sacrifice.