Joie de la découverte en ce dernier jour de l’année d’un poète de moi inconnu, oublié aussi, à une ou deux rares exceptions près et dont les noms ne m’étonneront guère. Cette découverte (Lucio Piccolo, c’est son nom) est-elle le présage de quelque chose ? Peut-être, peut-être pas, pas de superstition annuelle, s’il te plaît, mais ne fût-elle le présage de rien du tout, elle existe du moins, a un sens, en tout cas, je le crois, quand même je l’ignorerais. Or, si je le connaissais, quel intérêt aurait-il ? Probablement aucun, il serait comme tout ce qui nous vient conforter au quotidien, consolations factices qui nous rassurent le temps que dure la journée et puis s’envolent aussitôt la nuit tombée, alors on s’étonne du retour des angoisses, sauf qu’elles n’étaient jamais parties, non, elles nous enveloppaient de leurs bras rugueux, nous en avions simplement fait disparaître la sensation, un peu. Le monde nous est ouvert, nous pouvons venir de partout, aller où nous le voulons. Et, si nous portons des choses en nous, des origines, dira-t-on, il ne faut pas qu’elles nous pèsent mais soient légères, au contraire, légères comme une langue de plus et que nous parlons, légères comme la rime discrète à la fin d’un vers, laquelle ne s’impose pas, pourrait passer inaperçue, le fait, d’ailleurs, portant en elle un rythme qui entraîne et non ralentit, comme cette rime lourde, pesante, ou son absence, modernité voulue, goulue, qui ne dit rien qui vaille, dont on attend plutôt qu’elle s’en aille : va-t’en ! laisse-moi respirer les airs qui m’emplissent de gaieté, moi qui fredonne et jamais n’ânonne, mais toi, tu parles, tu parles, tu as des choses à dire, qui ne signifient rien. Édition privée d’une petite plaquette, dit la notice biographique, comment pourrait-il en être autrement ? De la photographie vieillie où il pose en noble décadent, je fais mon fond d’écran. Artiste de la phrase rare, est-ce ainsi qu’il faudrait le dire ? Sans doute pas, non, car la formulation est trompeuse qui donne l’impression que ce qui importe, c’est la quantité, mais la rareté, ici, ne signifie pas cela, bien plutôt la justesse, la précision, l’élan qui sait n’être pas logorrhée. Est-ce l’autoportrait que ta phrase que tu proposes là, Jérôme ? Peut-être, oui, peut-être. Qui sommes-nous sinon l’écho d’une voix inouïe ?