Tout est pathétique quand on le considère avec l’attention suffisante. Et sans doute, moi aussi, suis-je pathétique. (Qui sommes-nous pour croire que nous échappons à la règle ?) J’ai tiré les rideaux dans le sens inverse de l’ouverture, me suis de nouveau installé dans le lit, éclairé à la lumière de la lampe de chevet, non pour fuir quelque chose, non pour mettre le monde extérieur à l’écart, à distance, non, pour tout centrer. Écrire. C’est ce que je fais. L’article dont le sort m’angoissait depuis plusieurs jours (sincèrement) a bien paru. Sans que ce soit un chef-d’œuvre, j’y tenais. Pourquoi ? Je ne sais pas. Pour avoir le sentiment d’exister au dehors ? Peut-être. Mais où est-ce « au dehors » ? De l’autre côté des rideaux ? Faut-il publier autre chose que des chefs-d’œuvre ? Mais qui décide de ce qui est un chef-d’œuvre et de ce qui ne l’est pas ? Où sont les critères uniques, sans équivoque, indiscutables pour décider de cela ? Cherche-les, ne les trouve pas. Un instant, je me demande si cette page elle-même n’est pas pathétique, mais non, ce n’est pas ce que je crois. Il est onze heures vingt-huit ce matin du premier janvier, et je fais exactement ce que j’ai envie de faire. Lentement, hier, j’ai lu quelques pages du poème de Lucio Piccolo avec une joie légère. Et l’influence de ces vers se fait sentir, non de façon pesante, mais comme un air, une sorte d’atmosphère. Douceur dandie de la fin de race. Je joue à cache-cache, dit-il. D’où mon espèce de topographie du dedans et du dehors aujourd’hui, par transfert, en un sens, pourrais-je dire. J’essaie de me souvenir d’un vers que j’ai trouvé aussi beau que les autres : remoto è il mondo, bigio, inafferrabile. Lointain est le monde, bis, insaisissable. Pas de vœux pour l’avenir, mais la certitude plutôt qu’il ne faut pas, qu’il ne faudra pas se laisser envahir par la mauvaise conscience qui irrigue le monde social : elle est l’expression d’une faiblesse, d’une énergie perverse, laquelle se retourne contre soi-même et s’annihile, la preuve d’une manque de vitalité, d’une petite santé. À quoi il faut opposer sa grande santé. Je finis ma tasse de thé. Il faut respirer le parfum des astres, les lumières.