3.1.23

L’espace d’un instant, le temps pour la vieille dame de descendre les escaliers en marche arrière, je me demande si je vois l’univers se dérouler à l’envers. Et si, me dis-je, tout ce que je faisais, en réalité, je le défaisais. Peut-être que j’inspire de la répulsion aux gens, on ne sait jamais vraiment ce qu’il se passe dans leur tête, peut-être que, quoi que je fasse, il arrive toujours qu’ils ne m’aiment pas ou finissent par ne plus m’aimer. Mais cela signifie-t-il que je ne suis pas aimable ? Je ne le crois  pas, sans en savoir rien, au fond. Ce matin, je me suis levé et, après le départ de Nelly et Daphné pour l’école, je me suis mis au travail. Ensuite, je suis allé courir, je suis rentré à la maison où j’ai fait une séance de gainage et puis, je me suis mis en colère, tout seul, mais plus légèrement que l’expression « se mettre en colère » ne le laisse entendre, contre la publication d’un ouvrage que, je crois, j’ai déjà évoqué, mais que je ne veux pas nommer (il n’en vaut pas la peine). Ce qui a conclu, avec la certaine légèreté qu’on va voir, la mise en colère méridienne, c’est la réflexion de Thomas Bernhard, qui pensait que tout était dérisoire quand on pensait à la mort, oui, ai-je ajouté, mais on ne pense pas tout le temps à la mort, le faudrait-il ? me suis-je demandé, ce qui a mis un terme à ma mise en colère et m’a conduit à conclure sur un autre point d’interrogation : peut-être qu’au fond, les gens ne m’aiment pas. Est-ce que, si j’avais la preuve irréfutable que non, les gens ne m’aiment pas, cela changerait ma façon de vivre, ma manière d’être ? Non. VORTEX. L’inscription en grosses lettres capitales stylisées sur les espaces publicitaires des bus 82, 89, 92, dont l’arrêt se situe en face de chez moi, m’angoisse. Pourquoi tant de laideur ? Parce que c’est la série-événement de la rentrée. Au début de l’Enfance berlinoise de Walter Benjamin, on trouve les quelques phrases suivantes : « Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. Il faut alors que les noms des rues parlent à celui qui s’égare le langage des rameaux secs qui craquent, et des petites rues au cœur de la ville doivent pour lui refléter les heures du jour aussi nettement qu’un vallon de montagne. Cet art, je l’ai tardivement appris ; il a exaucé le rêve dont les premières traces furent des labyrinthes sur les buvards de mes cahiers. Non, pas les premières, car avant elles il y eut celui qui leur a survécu. » Hier, parcourant à pied le périmètre de l’arrondissement où je vis, ai-je déroulé quelque fil d’Ariane pour retrouver mon chemin dans le labyrinthe de la ville ? Les pages que j’ai écrites au sujet de cette expérience après que je l’ai faite semblent plutôt approfondir le labyrinthe, s’enfoncer un peu plus avant dans son dédale pour y découvrir et déchiffrer de nouveaux hiéroglyphes. Parler la langue de la ville, ce n’est pas trouver tout beau d’elle — toute belle, elle ne l’est pas, ne l’a jamais été, ne le sera jamais (qui dénonce l’enlaidissement de Paris ferait mieux de songer à l’époque où les Parisiens qui en avaient les moyens fuyaient la ville l’été tant l’air y été vicié) —, mais pouvoir s’étonner de ce qu’elle est à chaque coin de ses rues.