4.1.23

Temps gris, fatigue, pas morale, non, moralement, le monde n’est pas plus désespérant qu’hier, pas plus désespérant que demain, simplement fatigue. Les pages du livre que je suis en train de traduire narrent les événements qui ont eu lieu en Chine, il y a trois ans, lors de la découverte de ce virus qui nous occupe depuis lors. Et, ce matin, cependant que j’étais en train de traduire ces pages, je me suis dit que tout semblait recommencer, ou se reproduire à l’identique, ou en fait n’avoir jamais changé. Tout est toujours pareil, pas pire qu’hier, pas pire que demain. Ce n’est pas quelque chose de l’ordre de l’éternel retour. Les fêtes qui scandaient jadis l’année signifiaient ce retour du même, aujourd’hui, elles ne signifient plus rien, ce ne sont que jours fériés, même plus réellement chômés, on occupe le temps en le remplissant en sorte que, de lui, de son déroulement et de son retour, de son enroulement et de sa forme spirale, il ne reste rien, rien qu’une continuité triste, grise, banale, des événements qui se déroulent les uns à la suite des autres mais sans que jamais rien ne se passe vraiment. Nous pourrions continuer ainsi, à l’infini, si bien que notre seul espoir réside en ceci que l’infini ne veuille pas de nous, et que nous soyons obligés, mais par une nécessité interne, non par les aléas de ce que nous nous représentons comme des événements en raison du sens que nous conférons à ce qui semble se produire, que nous soyons obligés de changer. Changer de sujet, nous métamorphoser ; pas comme bêtement on bidouille son corps et bricole quelque intelligence factice dans l’espoir naïf de l’y loger (si quelqu’un pensait à ma place, ne pourrais-je pas jouir sans fin ?), changer l’intimité du monde, l’intimité que nous avons avec l’univers. À qui semble m’interroger sur le sens du mot « guerre » dans l’expression « Et partout c’est la guerre », je réponds par les quelques mots que voici, Πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, mots que, paraît-il, le grec Héraclite professait depuis Éphèse : Polémos de tout est le père, de tout le roi, ce qui n’éclaircit rien, au contraire, mais épaissit le mystère. À moins que, précisément, l’éclaircissement soit le mystère, le mystère l’éclaircissement. Car, en effet, qu’est-ce que ce père, ce roi qui fait de nous des dieux ou des êtres humains, esclaves ou libres ? Que ne sommes-nous libres comme des dieux ? Temps gris, fatigue, etc.