douze janvier deux mille vingt-trois

Je voulais écrire quelque chose et puis, sans que je m’en aperçoive réellement, je me suis perdu dans la contemplation du boulevard. Durant quelques instants qui n’étaient plus tout à fait dans le temps — les événements continuaient d’avoir lieu dans le temps, mais moi j’y étais extérieur, je n’avais plus le sentiment du temps, j’étais hors de lui —, j’ai suivi du regard ce qu’il se passait là, sous mes yeux, et je me suis égaré dans ce microscopique dédale à la profondeur infinie, je me suis enfoncé loin, très loin dans cette infime portion de l’univers. Au vrai, je n’ai même pas cherché à tenir le fil de mes pensées, je leur ai lâché la bride. C’est que je me trouvai soudain dans un labyrinthe immense, sans nulle Ariane pour me guider, labyrinthe d’où j’aurais très bien pu ne jamais sortir, ou plus totalement vivant. Le suis-je d’ailleurs vraiment ? Les réalités qui pourraient avoir lieu, même celles des plus infinitésimales, comme cette vision éphémère qui fut la mienne au moment de me servir une tasse de café, sens dessus dessous, que je pourrais verser le café sur cette tasse à l’envers — je me suis réellement vu verser le café sur la tasse renversée, j’ai réellement vu le café déborder de la tasse posée à l’envers sur la sous-tasse —, si elles n’existent pas, si elles ne sont même pas, comment se fait-il cependant qu’elles puissent nous habiter, qu’elles peuplent notre monde de fictions, lesquelles ne sont toutefois pas des chimères, mais ont une réelle action causale sur la façon dont nous vivons, la façon dont nous pensons, nos choix, nos préférences, nos dégoûts ? Qu’une chose qui n’existe ni n’est, qu’une chose qui n’est donc pas une chose, mais un rien, qu’un rien donc, qu’un rien ait un pouvoir causal, n’est-ce pas l’une des plus grandes merveilles de l’univers ? Et, s’il faut fuir ce qui crée du faux (autant dire qu’il faut fuir la majeure part de ce qui constitue notre vie sociale), il faut aimer ces fictions que nous faisons. Ne sont-ce pas elles, bien plus que les chefs-d’œuvre de l’art, les véritables œuvres de l’esprit ? J’ai pensé tant d’autres choses avant de me perdre dans ce morceau d’univers, mais je préfère les oublier à présent, et me souvenir de ce seul voyage fugace.