Devant le portrait inachevé de Madame Récamier peint par David en 1800, je me suis fait remarquer que, de nos jours, personne probablement ne se retournerait plus sur cette femme qui était considérée en son temps comme la plus belle d’Europe. « La plus belle d’Europe », c’est ce qui était écrit, je crois, sur le cartel à côté du tableau. D’Europe, c’est-à-dire du monde. Ainsi, va la beauté, qui passe comme tout ce qui s’est jamais tenu debout. Dans le musée, d’ailleurs, moi mis à part, pas grand-monde ne s’arrêtait devant le tableau. Autour de moi, jetant un œil circonspect, on ne sait jamais sur qui on peut tomber, j’ai cru voir principalement des gens gros, je veux dire : trop gros, de trop gros ventres, de trop grosses cuisses, de trop grosses perches à selfie, de trop gros appareils photo, de trop gros sacs à dos. Le matin, je m’étais satisfait de moi-même quand, enfilant mon pantalon, je m’étais aperçu que j’avais moins d’effort à faire, moins de ventre à rentrer, c’est-à-dire, pour parvenir à le boutonner. Je ne me suis pas réjoui outre mesure, conscient que j’étais et suis encore en ce moment de la distance à parcourir avant de correspondre à l’idée que je me fais de moi-même et que j’aimerais bien devenir, mais n’était-ce pas l’indice d’un progrès réel, physique et donc, c’est la suite logique, moral ? Dans le musée, je me suis encore rendu compte que de nombreuses salles étaient fermées, comme si ce haut lieu de la culture ne pouvait l’être qu’à moitié. J’avais envie d’aller voir le petit Daphné de Tiepolo mais une grille fermée, un peu comme celle d’une prison, m’en interdisait l’accès. Soudain, dans la grande salle où j’allais retourner admirer la fascinante sainte Apolline de Zubarán, la lumière s’est éteinte. Plongés dans le noir, les tableaux avaient l’air de fantômes prisonniers des murs, icônes humiliées devant qui n’a que quelques secondes à peine à leur consacrer. Des gens passaient, ainsi, promenant leur téléphone sur les œuvres qu’ils ne regardaient pas, occupés qu’ils étaient à les filmer. J’ai pensé à Stendhal et à son miroir, et puis j’ai rentré le ventre. Quant à Daphné, nous irons bientôt à Rome, admirer sa jumelle sous les doigts du Bernin.