Le gris du ciel forme un à-plat uniforme où je puis projeter mes pensées, mes sentiments, mes désirs, mes peines, mes angoisses, que sais-je encore ? tout, tout moi, quoi. Sur la surface du ciel, c’est là que je pourrais écrire cette page et toutes les autres, c’est là que je pourrais dire qu’elles sont vraiment les miennes. Mon moi, c’est ce que je veux dire, en effet, mon moi ne se trouve pas tant au-dedans de moi que là, au-dehors, partout où mes sens s’étendent. C’est la conclusion à laquelle, sous une forme un peu plus élaborée et plus élégante que celle que je viens de noter à l’instant, je crois, je suis parvenu il y a deux jours de cela. J’étais en train d’écrire un segment assez long d’un texte sur lequel je travaille depuis quelque temps sans vraiment savoir ce qu’il sera ni si même il sera quelque chose et, partant de tout à fait autre chose que cette manière de conclusion à laquelle je suis parvenu, je suis parvenu à cette idée, que je trouve belle, que j’aime. Ce que je suis, ce n’est pas au-dedans de moi que je l’inscris, que je le découvre, mais au-dehors, dans l’espace que j’habite. C’est cela, le sens du chez moi (cette dernière idée à laquelle je viens de parvenir à l’instant même), je me suis empressé de la noter à la suite de la séquence de l’autre jour. Après m’y être repris à plusieurs fois, j’étais parvenu à prendre une image photographique à peu près satisfaisante de ce que je voulais voir, moins pour le montrer, que pour le fixer, le fixer pour moi, en quelque sorte rendre extérieur un sentiment, une impression, et j’ai écrit cette séquence assez longue avec une idée précise de ce que je voulais écrire, idée dont, à mesure que j’avançais dans l’écriture, je n’avais de cesse de m’éloigner : ce n’est pas que je n’étais pas capable de dire ce que j’avais à dire, que le sens profond de ce que j’avais à dire était en train de m’échapper, mais que, ce que j’avais à dire, cela cédait la place à l’écriture qui inventait son propre sens, son propre sujet, sa propre vérité. Il n’y avait pas, ainsi, quelque chose qui précédait l’écriture et à quoi il fallait parvenir comme un tout dont tout est un fragment jusqu’à ce que, mais c’est impossible, on ait reconstitué le tout à force d’accumuler des fragments. L’écriture se manifestait pour ce qu’elle est : le sans précédent, qui s’invente et invente tout dans le moment de son accomplissement. Mais cela, je l’ai déjà dit, autrement, mais je l’ai déjà dit. Depuis la rue, en bas, me parviennent des bruits qui, sans me plaire, ne me dérangent pas, ils sont là comme tout ce qui existe, et puis je lève les yeux, et ce ciel d’un gris uniforme, opaque ou quasi, dont je ne vois que des morceaux découpés par les vitres, les immeubles, les cheminées, les antennes, ce ciel aveugle et indifférent sans aucune qualité esthétique que l’absence, ce ciel me semble sublime. Je m’y vois.