Rencontre surréaliste avec la voisine du dessus, cette nuit. Quand elle a enfin ouvert la porte après que j’ai passé cinq bonnes minutes à sonner et taper dessus vers trois heures du matin, elle portait des bottes à talons noires (je n’ai pas eu la présence d’esprit de mesurer leur hauteur ni leur forme exacte, il faut dire que j’avais sommeil), un simple bustier à manche longue noir pour tout vêtement et, avec son rouge à lèvres qui bavait loin au-delà de la commissure, elle avait l’air de l’improbable fruit issu de l’accouplement de Marilyn Manson avec la Cicciolina. Qui porte des bottes seule chez soi à trois heures du matin ? me demanderais-je ensuite tout en descendant les escaliers pour regagner mon domicile. Serait-ce elle, le devenir de l’homme prophétisé par Gilles Deleuze ? Tout est possible. Quand je lui ai demandé de baisser la musique, elle m’a répondu quelque chose comme « On va voir. Ça dépend. Peut-être demain. » J’ai insisté malgré sa nonchalante fin de recevoir, faisant valoir que non, ça ne dépendait pas, qu’il fallait baisser ou éteindre, je ne sais plus, les deux peut-être, baisser ou éteindre parce qu’elle m’empêchait de dormir, mais c’était peine perdue : son cerveau avait dû griller depuis longtemps déjà et il n’y avait plus rien à en espérer. Quand elle a claqué la porte sur l’impossible silence, je me suis senti un peu honteux, à cause de ce pitoyable échec à faire entendre la voix de la raison au milieu des infrabasses et de la bêtise ordinaire, et aussi parce que je devais avoir l’air bien ridicule, à trois heures du matin, pieds nus avec mon teeshirt et mon pantalon de coton, dans les ruines postmodernes de l’haussmannisation de l’univers, enfin de Paris, quoi. Qui va taper chez les voisins dans un tel accoutrement ? De fait, je manque de sommeil, ce matin, mais le moral est bon. Je vais prendre la direction du studio. Et noyer ces souvenirs absurdes dans le plus pur chaos.