six février deux mille vingt-trois

Aucune envie d’écrire. Aucune envie de rien. Or, cela, cette absence, ce manque, ce rien, il n’y a que grâce à l’écriture que je puis parvenir à le reformuler. La mort de A. me semble avoir déchiré le voile d’illusion que je faisais tenir devant la réalité. Sans lui, ce n’est pas que tout me semble absurde (tout l’est, rien ne l’est ou tout ne l’est pas, à supposer que jamais j’en aie eu, je n’en ai plus la moindre idée), c’est que je ne parviens plus à me leurrer sur la réalité de mon existence, de mon talent, de mon succès : tout ce que je fais est nul et, à moins de me voiler cette réalité, à moins de projeter ma fausse conscience tout autour de moi et sur moi-même, je ne vois pas pourquoi je continue de faire ce que je fais. Pour dire la vérité, il n’y a pas de raison de continuer. Je n’ai pas envie d’aller à l’enterrement de A. Je n’ai pas envie de voir mon frère. Je n’ai pas envie de me dire que le prochain mort, ce sera mon père. Et pourtant, tout cela, c’est la réalité. Qui pourrait ne pas s’effondrer sous le poids de la réalité, sa lourdeur, l’absence totale d’espoir qu’elle recèle ? Tout est tellement imbécile. Il n’y a que le bruit des sirènes de la police, des ambulances, le bruit des moteurs, le bruit que fait la vie multipliée par le nombre de gens qui vivent, il n’y a que cette immense vacuité au milieu de laquelle, perdus, nous nous agitons. Mon Dieu, souffles-tu dans une parole réflexe, mais le ciel est vide, d’où personne ne viendra te consoler. Il n’y a que cette absence de consolation, il n’y a que l’enfant que tu fus, l’enfant que tu es toujours, et à qui personne ne dit plus depuis longtemps, te caressant tendrement les cheveux, ne pleure pas, mon amour, tout va bien, parole à la vérité si courte que, cyniques, nous nous convainquons à tort qu’elle n’est que mensonge. Ce n’est pas vrai qu’elle soit un mensonge, c’est qu’un jour, contrairement à l’idée que l’on se fait de la vérité, elle cesse d’être vraie et qu’alors, nous nous trouvons seuls, terriblement seuls. Dans le métro, tout à l’heure, rentrant de la sortie scolaire à laquelle je l’avais accompagnée, j’ai regardé Daphné qui, la tête appuyée contre la vitre de l’habitacle, avait le regard perdu dans le mouvement sous-terrain. Elle m’a semblé triste, infiniment triste. Des lèvres, je lui ai demandé si ça allait, elle m’a répondu que oui. Infiniment triste et, comme son regard plongé dans ce fragment de l’infini qui défilait sous ses yeux, infiniment belle.