Aller-retour au crématorium (plus froid encore que la mort). Pour ce faire, je traverse la France et goûte aux joies insignes de la promiscuité. Insignes ou indignes ? Comment peut-on se tenir si près d’inconnus sans désir, sans plaisir, sans sentiment aucun, rien que la conscience de la promiscuité ? Au fond, nous ne valons guère mieux que du bétail : on nous entasse, on s’entasse, on nous déplace, on se déplace. Qui ne partage l’effroi de la vache qu’on envoie à l’abattoir ? D’où nos regards bovins. Mais ce n’est qu’un trajet en train, me dis-je. N’est-ce qu’un simple trajet ? Non, c’est un aller-retour au crématorium. Ces derniers temps, je ne me nourris que par nécessité, sans nul plaisir pris à la consommation des aliments. Je lève la tête, la campagne est blanche de givre matinal. J’ai mal dormi cette nuit, à cause de l’aller-retour du lendemain, sans doute. Daphné, elle aussi, bien que pour d’autres raisons, appréhendait le jour qui allait venir. Parfois, je me dis qu’entre nous, il y a des liens plus qu’ordinaires, mais je n’ai pas la preuve que ce soit vrai. Qu’importe, je le sais. Je n’ai pas de compassion pour la vache que je mange parce que je n’ai pas de compassion pour l’espèce humaine ; et puis, je n’en mange qu’un petit morceau. L’espèce humaine non plus n’a pas de compassion pour elle-même, elle se parque dans des trains qui sillonnent le monde en direction de tel ou tel crématorium. Est-ce vraiment cela, la vie ? Mais oui, sinon quoi d’autre ? Qui en a la moindre idée ? Si quelqu’un en avait la moindre idée, aurions-nous consacré des millions d’années à l’évolution pour en arriver là ? L’évolution, ce n’est pas le progrès, me dis-je. Et cette sentence morale, je ne sais qu’en penser. Vaches jaunes sur l’herbe verte de givre.