Je l’ai trouvé nul, ce livre. Mais comme, peut-être, me suis-je dit, peut-être, je n’étais pas dans les meilleures dispositions au moment de le lire (j’étais dans le train, en chemin vers le crématorium, il était tôt, j’aurais préféré dormir plutôt que de lire), j’ai demandé à Nelly d’y jeter un œil, si tu trouves ça bien, lui ai-je dit, je le reprendrai, c’est dire le niveau de scrupule qui est le mien, peut-être trop élevé, je ne sais pas, c’est ma conscience qui s’exprime dans mes scrupules, les autres en ont-ils autant que moi, des scrupules ? je suppose que non, car s’ils en avaient autant, les livres ne seraient pas aussi mauvais qu’ils le sont, les œuvres aussi mauvaises qu’elles le sont, les villes aussi sales qu’elles le sont, non, nous vivrions dans un monde de beauté. Ou peut-être pas, on ne peut pas savoir. Mais non, Nelly, le livre, Nelly non plus ne l’a pas trouvé bon. On peut savoir, en revanche, que les livres sont mauvais. Comment ? Il faut faire confiance à son sens esthétique qui, pour une part, s’éduque et, pour une autre, est inculte, instinctif, sauvage, de l’ordre de la pure et simple réaction. Le goût est primal tout autant que raffiné. Il faut sentir les choses, sentir les gens, sentir les êtres, la vie. Est-ce une théorie ? Non, c’est la vérité. Grand Dieu, quelle modestie ! Mais pourquoi diable serais-je modeste ? Je suis déjà un écrivain raté, faut-il que je sois de surcroît un écrivain modeste ? Ça gagne bien sa vie, un écrivain modeste ? Serais-je plus heureux en berger corse, comme me le suggère malicieusement R. ? Pâtre dans les collines de ses ancêtres, il fut aussi poète, dirait-on de moi dans dix ou vingt siècles. Mais qu’est-ce que la poésie ? Je ne sais pas, l’art de prendre langue avec l’univers ? Et maintenant, silence.