quatorze février deux mille vingt-trois

Comme le dit le sage, on ne sait jamais ce qui peut arriver, mais on sait ce qui est arrivé, pour peu que l’on fasse attention, et ainsi cela fait aujourd’hui dix-neuf que nous sommes ensemble, comme le dit peut-être aussi le sage, Nelly et moi. Drôle de date, il faut bien l’avouer, que cette odieuse saint Valentin, acmé du kitsch commercial, mais si l’on entreprenait de faire l’archéologie de notre amour, chose que je n’entreprendrai pas aujourd’hui, en vérité, il faudrait remonter plus avant de quelques mois, pour trouver l’origine de notre amour, la première fois, quoi. Je me souviens que Nelly m’avait envoyé un message, la veille, c’était donc un treize février, quelques mois donc après m’avoir quitté (cette date, en revanche, je l’ai oubliée) pour me proposer de boire un verre avec elle le lendemain, chose que j’avais acceptée. Je me souviens aussi que je dormais sur le canapé d’un ami qui ne l’est plus aujourd’hui, mais Nelly est toujours mon amour, alors je peux me moquer bien de lui. Nous faisions nos études à Aix-en-Provence, si nous avions su, nous serions sans doute allés les faire, mais c’était à la fin d’une époque où l’on avait cru à la République, à son indivisibilité, tout cela, depuis lors, a volé en éclats, et nous sommes bien naïfs si nous l’avons jamais cru. Mais je ne regrette pas d’avoir fait mes études à Aix-en-Provence parce que c’est là que j’ai rencontré Nelly, qui faisait comme moi des études de philosophie. Aujourd’hui que nous sommes revenus vivre à Paris, preuve s’il en fallait une que, comme le dit le sage, on ne sait jamais ce qui peut arriver, ce retour ne rompt rien, au contraire, il prolonge ce que nous sommes, la façon dont nous nous aimons. Quelquefois, quand je suis las que les gens me prennent pour un bon à rien, un incapable, un hurluberlu, un pauvre type, un moins que rien, un raté, un minable, un dieu sait quoi, je regarde Nelly et Daphné, et je me dis qu’ils n’ont peut-être pas exactement raison, après tout, de me tenir en si basse estime, tous ces philistins, ces âpres au gain, ces pense à mal, puisque Nelly m’aime et que nous avons donné naissance à cette enfant, si belle et si intelligente. L’autre soir, c’est Nelly qui me l’a raconté, l’autre soir, Daphné a confié à sa mère qu’elle voulait tout savoir, et cette soif infinie de connaissances m’a paru assez sublime. Comme le prolongement parfait de notre amour. À croire que, parfois, tout de même, on peut savoir ce qui va arriver, mais on ne se fait pas confiance. Douter est une force, mais c’est un tort quelquefois ; cela le sage ne le sait pas.