quinze février deux mille vingt-trois

Entre deux, oui, mais entre deux quoi ? je ne sais pas. En tout cas, c’est ainsi que je me définirais aujourd’hui même, si jamais on me posait la question de savoir où je suis, ce que je suis, qui je suis, que sais-je ? justement, je ne sais pas. Je repousse au plus loin les choses que j’ai à faire parce que je n’ai pas envie de les faire. Ce qui n’est pas totalement vrai puisque, tous les matins, je m’assois à ma table de travail et traduis le livre que j’ai à traduire. Mais il y a tout le reste, à quoi je devrais consacrer du temps, si seulement cela ne me tombait pas des mains. Peut-être suis-je paresseux, suis-je paresseux ? je ne sais pas. On a besoin d’élan, de souffle, d’épopée, mais de tout cela, il n’y en a pas, rien que des choses banales, si banales qu’on pourrait passer sur elles sans même les voir, sans même se douter qu’elles existent. Sur le boulevard, un homme crie sur un autre ; j’ai l’impression que c’est une scène ordinaire, et je me demande : toute cette rage, toute cette colère, toute cette haine, d’où vient-elle ? N’aiment-ils personne dans les yeux de qui regarder, ces gens qui se veulent tant de mal, à qui il ne manque plus au fond que la permission de l’acte, la chute d’un énième tabou, la déconstruction d’une autre mythologie, pour s’entretuer ? Nos ancêtres ne le firent-ils pas jadis, et puis naguère, et nos contemporains encore ? Vive la mort ! Tout à l’heure, j’ai bien compris dans le ton qu’a pris Daphné pour désigner la tenue que je portais qu’elle n’était pas à son goût, qu’elle ne convenait pas pour assister à la répétition publique de son cours de théâtre. Aussi, me suis-je changé pour constater qu’en effet, cela je ne pouvais pas le nier, c’était mieux ainsi. Que l’enfant ait raison, cela n’a rien d’étonnant, mais encore faut-il savoir l’écouter. J’ai assemblé un certain nombre de réflexions, ces derniers jours, à haute voix pour la plupart, peut-être parce qu’elles me font peur, que je n’ose pas les mettre par écrit, réflexions qui ne sont pas sans rapport avec ce que Spengler, il y a un siècle, crut bon d’appeler« le déclin de l’Occident ». Je ne les note pas ici parce que je ne sais pas si je puis les mettre par écrit, j’entends : y crois-je vraiment ? Je ne sais pas. L’dée de Spengler a quelque chose de fascinant, à laquelle on reproche un peu trop facilement son pessimisme. Or, qui peut nier que l’Occident, en tant qu’entité idéologique, est mort, qu’il n’en demeure qu’un vague reste géographique, lequel, sans son substrat idéologique, est parfaitement vide de sens ? Nous, Occidentaux du début du XXIe siècle, nous vivons dans ce vide de sens. Quand je dis que je parle une langue morte, par exemple, cela signifie que la langue française, celle dont Leibniz par exemple se servait pour converser avec l’Europe tout entière, cette langue a perdu cette vocation universelle. Or, une langue qui a eu une vocation universelle, vocation qu’elle a perdue, que devient-elle, sinon un patois ? Ce n’est plus en elle que s’expriment désormais les idées nouvelles. Ce patois, peut-être le parlerons-nous encore pendant des décennies, mais il sonnera creux comme déjà il sonne creux. Faut-il alors apprendre la langue insulaire d’une partie de mes ancêtres ? Et pourquoi pas ? L’histoire ne revient pas en arrière. Addiu.