Après avoir cherché pendant plus d’une demi-heure quelque chose qui se trouvait sous mon nez, j’essaie de mettre de l’ordre dans mes idées. Mais ne sont-elles pas à l’image de cette quête minuscule et absurde, mes idées, là, sous mon nez, sans que je sois pourtant capable de les rassembler ? Que m’apprêtais-je à dire ? L’ai-je oublié ? Non, j’avais formulé l’espèce d’idée que voici : le nihilisme est une attitude face à l’avenir, qui peut prendre plusieurs formes, dont la plus désespérée, que ne porte plus la moindre utopie, et la plus désespérante, qui n’a jamais connu la moindre utopie, et jouit de s’accomplir dans la destruction pure et simple de l’avenir, la destruction de toute possibilité de nouveauté. Ce n’est pas tout à fait la même chose de ne plus croire en rien et de détruire quelque chose qui n’existe pas, n’existe pas encore, interdire à quelque chose d’avoir lieu. C’est une attitude face à la vie qui devrait nous emplir d’effroi et, pourtant, n’avons-nous pas fini par nous y habituer, par l’adopter, par l’épouser pleinement jusqu’à ce qu’elle devienne la forme même que prend notre relation à l’univers ? Non pas détruire ce qui existe déjà, abattre, changer le monde, mais détruire pour toute chose la possibilité qu’elle advienne. Ce nihilisme est d’autant plus accablant qu’il ne participe d’aucune idéologie, il ne tient pas à une quelconque croyance, ou absence de croyance, ou perte de croyance, il est tout entier complaisance, accomplissement de la version la plus effrénée du libéralisme : l’ego comme source et fin de toutes choses. L’ego est un point dans l’étendue infinie du vide ; rien ne l’affecte que ce qui lui semble renvoyer l’image de sa propre perfection (quelle que soit la forme qu’elle prend, y comprise la plus misérabiliste). Les thérapies du moi (clinique, chimique, érotique, politique, etc.) confortent l’ego dans cette forme de suprématisme absolu pour qui, point aveugle, il n’y a plus ni passé ni avenir, rien qu’un présent borné à la momentanéité éternellement passagère. En ce sens, s’il est fort probable que la femme soit l’avenir de l’homme, s’exprimant comme accomplissement du désir féminin d’être identique à l’homme, c’est-à-dire de ne pas porter d’enfant, cet avenir coïncide avec la fin de l’humanité, son épuisement. L’égalité apparaîtrait ainsi comme la forme ultime du nihilisme. Et, au fond, qui peut dire que l’humanité ne s’accomplit pas en s’épuisant, en annulant le futur, en détruisant la vie ? Le triomphe de la raison fut le déclenchement de la pure négativité, laquelle se réalisera dans la destruction totale de la vie ou, du moins, de la vie humaine.