vingt-cinq février deux mille vingt-trois à Rome

Peut-on se mettre un point médian dans le cul ou faut-il forcément l’insérer entre deux lettres ? Pourquoi le succès conduit-il toujours au culte de la personnalité, pourquoi faut-il que qui le connaît se transforme systématiquement en support de  publicité pour des marques vulgaires (POURRITURE DE PHILISTIN !), s’ensuit-il que le succès est nécessairement fasciste ? Il est risqué de revenir sur les lieux où nous avons été heureux parce que le bonheur n’est pas entre les murs des églises, dans les pavés des rues, le marbre des monuments, le bonheur n’est pas dans les choses, il est dans l’air entre les choses, dans la façon dont on respire, dont on sent, le bonheur est une expérience de quelque chose, mais quoi ? n’importe quoi, à vrai dire, le bonheur n’est pas dans la chose dont je fais l’expérience, auquel cas le bonheur serait l’inconnue = X, mais dans le sentiment de la chose, le sensé dont je parlais l’autre jour, je crois, voilà aussi, me dis-je à présent, voilà aussi une forme que prend le bonheur, la pensée heureuse. Se complaire au malheur, s’adonner à un bonheur imbécile sont des péchés aussi capitaux l’un que l’autre, ils devraient nous faire honte. Comment se fait-il que ce ne soit pas le cas ? Notre sensibilité est-elle pourrie ? C’est une hypothèse. Qu’est-ce qui ne l’est pas, pourri ? Dès qu’on dévie un peu des itinéraires conseillés, on s’offre la possibilité d’en faire l’expérience, de faire une expérience. Je ne savais pas en revenant à Sant’Andrea al Quirinale si je connaîtrais la même émotion que la première que nous y étions allés, Nelly et moi. Je m’en souviens très bien. Je m’étais fait la remarque qu’il était difficile de ne pas être catholique dans un tel endroit, de ne pas faire une sorte d’expérience mystique, de ne pas sentir l’immensité de ce qui s’élève au-dessus de soi, infiniment plus grand et plus haut que soi. Au fond de cette immensité, que je croie en tel dieu plutôt qu’en tel autre, voire en aucun, cela fait-il une si grande différence que cela du moment que je puis faire une expérience qui me porte au-delà de moi, non vers la divinité en tant que telle, mais vers l’immensité en tant que telle, vers l’altérité absolue, vers ce qui n’a pas de langage (qui n’est pas l’indicible, ne fais pas l’imbécile, ne confonds pas), vers l’inconnu, ce qui me décentre de moi-même, fait passer mes croyances pour des lubies qu’on radote jusqu’à la sénilité ? Le plus important, n’est-ce que je comprenne, non, mieux : que je ressente, que je le perçoive avec une acuité unique, une qualité de conscience sans pareille, que je ressente que ce que je tiens pour capital, in fine, n’est rien ? L’immensité, laquelle — c’est tout le paradoxe et toute la richesse de l’expérience humaine — peut tenir entre quatre murs (ce phénomène, c’est ce qu’on appelle, entres autres choses, l’art), l’immensité me montre toute l’étendue de mon néant et le bonheur, n’est-ce pas de  reconnaître et d’embrasser ce fait, cette réalité, comme on aime quelqu’un parce que l’on sent au plus profond du secret que l’on garde pour soi tant il nous fait peur, on sent que sans elle, on n’est rien ?