Des idées dès le réveil. Pourtant, j’ai mal dormi. De bon matin, infrabasses infâmes qui montent de la rue. Elles pourraient me faire écrire tout autre chose, mais non : cela, je l’effacerai. Je ne tomberai pas. Je m’efforcerai d’oublier toute la laideur du monde. D’accord, mais que restera-t-il alors ? J’écris, j’efface. J’écris, j’efface. Toujours quelque chose en moins. De mes idées, après le réveil, que faire ? Écrire dans le carnet. Hygiène privée. La démocratie est une idée de génie et une catastrophe humanitaire. Vais-je reprendre ma page où je l’avais laissée ? Là où, oui, mais pas le sujet. Où ? Saint Louis des Français. À force de ne plus rien apprendre à personne, à force de ne plus rien vouloir enseigner à personne, parce que tout apprentissage, tout enseignement est vécu comme une violence, une oppression, une domination, que restera-t-il ? Mes pages, le problème, ce n’est pas de les écrire ; mes pages, le problème, c’est de les lire. Qui les lira ? Qui les lit ? Bien sûr, qu’il y a un grand désespoir en moi, comment vivre autrement ? Il n’y a pas de vie au-delà de la finitude : la conscience que je vais mourir et la conscience que j’existe sont une seule et même conscience, elles sont indissolublement liés. Le péché originel a déchiré le voile du mensonge derrière lequel on tenait la réalité dissimulée. Seule la fausse conscience est heureuse. La vraie conscience est désespérée. Il fallait détruire pour vivre, à défaut de la désirer, épouser la finitude. Car, sans doute, ne pouvons-nous cesser de désirer l’immortalité, et peut-être ce désir est-il la raison pour laquelle le désespoir ne nous a pas encore épuisés, mais il est impossible d’y succomber sans renoncer au savoir. Question de déséquilibre : le dégoût des choses ne doit pas occulter la beauté du monde. Ainsi, tu sais de quel côté faire pencher la balance.