Une journée qui n’aura compté pour rien ou presque, c’est-à-dire pour Paris. Identique à elle-même, la ville manque d’âme ; il faut dire que le départ était un peu court pour d’authentiques retrouvailles au retour. Le matin, encore à Rome, à l’angle de la Via dei Giubbonari et du Vicolo delle Grotte, le patron du bar où nous prenons un ultime petit-déjeuner s’extasie devant Daphné qui passe tout le temps que nous sommes là à lire son livre. Comment ne pas s’extasier, en effet, face à telle enfant ? Auparavant, j’étais allé faire un dernier pèlerinage Piazza Farnese, me demandant : à quelle condition est-il possible qu’un lieu soit parfait ? Est-ce que décrire la place, comme l’aurait fait Perec, permettrait de répondre à la question ? Je ne le crois pas, il manquerait l’essentiel : il manquerait l’air entre les choses. Là, cet air eut un parfum singulier, cette année, sans que je sache très bien pourquoi, sans même que j’ai vraiment envie de savoir pourquoi. Il y eut un lieu parfait, là, à ce moment-là ; n’est-ce pas suffisant ? Dans l’avion, pour alléger mon bilan carbone, je m’endors sur Montaigne dont la profondeur m’apparaît enfin, depuis quelques temps, après des années d’incompréhension quasi totale : c’est une profondeur simple, honnête, la plus difficile à atteindre, celle qui nous est la plus étrangère, peut-être. Je lis : « L’ame qui n’a point de but estably, elle se perd : car, comme on dict, c’est n’estre en aucun lieu, que d’estre par tout. Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat. » (Essais, I, VIII). Étrange proximité de cette langue, qui fait le pont entre deux langues, n’est-ce pas Maxime ? Comme chez Rabelais, non ? Et, c’est cette pensée polyglotte qu’on retrouvera encore, bien plus tard, chez Stendhal, qui doit alimenter toute écriture, pensée polyglotte qui n’a rien à voir avec le barbarisme, en est tout le contraire, émane d’un amour du langage, d’un amour des langues. Comme quand on revient chez soi et que l’on s’attend encore à entendre la langue de l’étranger : les oreilles sont neuves, parce qu’elles sont plus riches des sonorités et des sens qui les ont alimentées. On entend mieux, on parle mieux, on pense mieux à plusieurs langues.