La fascination de la mort, présentée sous le jour heureux du bien-être et de la résilience définitive des soins palliatifs, est symptomatique de l’Europe occidentale de notre temps, civilisation littéralement dévitalisée (qui ne produit ni ne se reproduit plus). On croit faire un rêve morbide quand on entend parler d’un prétendu « droit à mourir » par humanité sans que personne ne semble en mesure de faire l’effort qui permettrait de se poser la seule question qui se tienne quelque peu : en quoi, en effet, la mort pourrait-elle bien faire l’objet d’un droit ? La mort, est-ce seulement une réalité, un événement de la vie ? Wittgenstein n’écrivait-il pas : « Der Tod ist kein Ereignis des Lebens. Den Tod erlebt man nicht. » (TLP, 6.4311) ? Il y a une confusion qui n’est malheureusement pas uniquement sémantique, mais révélatrice de notre rapport au soi et au monde, révélatrice ainsi de la peur immense que tout cela nous inspire. Qu’attend de la vie qui se préoccupe de mourir dans le confort ? Mais ce n’est pas un rêve, c’est la veille de la raison. Il y a quelque chose de pathétique dans cette rationalisation a priori de la mort, qui résonne comme le chant du cygne de la raison épuisée, fatiguée, qui n’en peut plus et attend qu’on l’achève en douceur. Que philosopher, c’est apprendre à mourir, écrivait Montaigne, après Cicéron, à la Renaissance. Nous voici donc entrant en pleine Remort. Mais, que l’Europe occidentale disparaisse, n’est-ce pas in fine le sens de l’histoire ? Il y eut d’immenses civilisations pour lesquelles nous concevons, admirant leurs vestiges, une admiration bien plus grande sans doute que si nous avions vécu en citoyens de ce temps révolu. Après avoir tant souffert au XXe siècle, l’Europe occidentale demande une mort paisible. De quel droit nous la lui refuserions-nous ? Adieu, vieille Europe. Adieu, vieille occidentale. Bientôt, les enfants des nouvelles civilisations viendront admirer tes ruines. Et peut-être s’en trouvera-t-il, parmi eux, pour te regretter. Mais, t’ayant connue finissante, qui le pourrait ?