dix-sept mars deux mille vingt-trois

Je retrouve des notes, cinquante-trois remarques et quelque, que j’avais écrites pour les placer à la suite de musique difficile, la première version d’et partout c’est la guerre, dont elle forme aujourd’hui le commencement. Je les survole du regard sans trop savoir quoi en penser. Peut-être y a-t-il en elle une forme de profondeur mais je ne la perçois pas. Faut-il effacer tout ce qu’on ne comprend plus, déchirer, brûler, faire disparaître ? Mais qui me dit que, plus tard, si je devais relire ces pages, je ne verrais pas de nouveau leur profondeur ? Il faudrait presque être capable d’écrire tout ce qui nous passe par la tête pour ne rien laisser passer, précisément, consigner chaque état du système mouvant et changeant qu’est notre pensée. Je ne sais plus qui a écrit que c’était probablement ce que Leibniz avait fait, d’où ces nombreux traités dont chacun couche par écrit un état de sa pensée. Aucun n’est définitif, on pourrait imaginer qu’ils se complètent les uns les autres, mais est-ce bien certain ? Et puis, combien de temps dure un état de la pensée ? Une minute, une heure, un jour, un mois, un an, toute une vie, jamais ? Je ne parviens pas à orienter mes idées dans une direction que j’aurais déterminée afin de parvenir à concevoir quelque chose comme un livre : j’ai beaucoup d’idées, là n’est pas la question, est-ce que j’en ai trop ? c’est possible, et je ne sais pas quoi faire de tout cela, je ne suis même pas certain de parvenir à l’accompagner correctement, de parvenir à le suivre intellectuellement, sentimentalement, il y a des choses qui se passent en moi, mais il me semble qu’elles ne font que passer, je ne parviens pas à l’état de concentration nécessaire pour en faire quelque chose, — pour faire quelque chose. Peut-être ne suis-je plus bon à rien. À plusieurs reprises, j’ai déjà envisagé cette possibilité. Généralement, quand cela se produit, je commence à détester ce journal, que je tiens pour responsable de mon incapacité à écrire un livre. Absurde, sans doute. Peut-être ne suis-je plus bon qu’à faire du gras. Ce gras même dont je ne parviens pas à me débarrasser, que je ne fais qu’accumuler encore et encore, par faiblesse, paresse. Mais je ne voulais pas écrire pour m’accabler. Pour me dispenser d’écrire aujourd’hui, j’ai pensé me contenter de copier les cinquante-trois remarques et quelque que j’avais consacrées à l’écriture pour les placer à la suite de musique difficile, mais j’y ai renoncé parce que je trouvais que cela aurait  eu quelque chose de malhonnête, que je n’aurais pas été juste avec moi-même, que je me serais trompé moi-même, que je me serais abandonné ce faisant à ma passion pour le rien. Quelque chose vaut-il mieux ? Est-ce seulement une question ? Bien sûr que non.