Certains soirs, quand je suis envahi d’angoisses trop étouffantes, je regarde les moulures au plafond, elle sont une respiration. Dehors, ces soirs-là où d’ivres mortes gens errent sans raison quand ce ne sont les ordures qui s’accumulent dont personne ne veut plus, dehors, il n’y a rien à voir. Je pourrais désirer le ciel bleu mais, depuis des heures déjà, il fait nuit. À défaut de fermer les oreilles — qui, nous le savons bien, n’ont pas de paupières —, je garde les yeux ouverts, et les lève vers ce ciel artifice, stuc blanc de substitution pour un monde qui n’est plus, n’a jamais été. Pourrait-il être ? Oh oui, qui sait ? Tout est possible, non ? Tout, oui, mais le bien ? Quel bien ? Je lève les yeux vers cette voie lactée de pacotille, prends une grande respiration, puis deux, puis trois, et me demande : « Mais pourquoi les choses seraient-elles autrement ? Existe-t-il la moindre raison contraignante pour qu’elles le soient ? » Non. C’est un samedi soir comme il y en a tant, et dont je n’aperçois qu’une microscopique fraction. Quel droit ai-je sur lui ? Aucun, certes. Mais lui, sur moi ? Nul de plus. Pourquoi faut-il alors que nous demeurions les impuissantes victimes des choses telles qu’elles sont, privées de tout, même du plus élémentaire espoir de justice ? Quelle justice peut-il y avoir pour moi qui n’exprime pas la moindre revendication, ne réclame aucun droit supplémentaire, n’exige aucune réparation, ne demande aucune compensation, ne veut rien, au fond, rien que l’impossible ? Impossible justice ou justice de l’impossible ? Qui fait la différence ? Moi, je la vois claire et distincte, mais que change-t-elle, cette vision ? Je retire mes idées avant de les avoir exposées, — de peur de quoi, de peur d’exister, de peur que quelque chose soit ? Pour mettre les choses au net, j’essuie les verres de mes lunettes avec le noir de mon teeshirt, et lève encore les yeux au ciel factice de mon plafond : l’espace laissé blanc entre les quatre coins du mur du dessus est une impensable fresque, vierge comme l’impensé du lendemain. « Ne ferme pas les yeux », me dis-je comme si je m’intimais une sorte d’ordre que je serais incapable de suivre, comme je dirais : « Applique la règle », peut-être. Je voudrais m’arracher les cheveux, mais cela, si étrange que puisse sembler, cela, ne reviendrait-il pas à m’aveugler ? Si je n’étais une sorte de puriste exalté, que me resterait-il à désirer encore sinon, violente et assurée, la mort ? Avec la pointe acérée de mon stylo bille, je me transpercerais la carotide et je frapperais, je frapperais sans relâche jusqu’à ce que tout le sang de mon corps se trouve vidé. Répandu de par le monde.