Cependant que, comme ils disent, on s’apprête à mettre la France à feu et à sang, de bon matin, je me lève, me mets au travail et puis vais courir, comme si de rien n’était. Est-ce que rien n’est ? Dans un univers parallèle, en partie du moins, oui, ce n’est pas faux de le dire, aussi le dis-je, c’est là que je me trouve tout cela faisant, dans un monde meilleur, en tout cas, cela pour moi ne fait nul doute. Non qu’on exagère — après tout pourquoi le ferait-on ? — ce qu’il se passe ici ou là, mais cela ne dépend pas de moi, je n’ai aucun pouvoir dessus ni dessous, peut-être que la République vit des heures troubles, peut-être que pas, on saura plus tard, dans quelques centaines d’années, mais alors tout ceci que nous avons sous les yeux, tout aura disparu. Que restera-t-il de nous ? Quand on se pose la question, pourvu qu’on l’aborde avec quelque sincérité et sans préjugé ni complaisance, le regard change de perspective, les choses de formes, elles se profilent, rapetissent pour certaines, s’augmentent pour d’autres, rien ne ressemble plus à ce qu’on en voit quand on a le nez collé juste dessus. N’est-ce pas le grand vice, avoir les nez collé juste dessus les choses, de vivre dans une sorte de jour le jour infini, sans cesse recommençant, présent perpétuel comme une peine de prison à perpétuité ? Les choses changent, évidemment que le temps passe, c’est la nature même des choses temporelles, mais par quelle espèce de sortilège incompréhensible serions-nous contraints de nous y soumettre ? Il faut sortir prendre l’air, et pas seulement dehors, mais en l’esprit aussi, aérer les connexions, se faire voir ailleurs. Courant je m’en rends bien compte, je suis complètement hors de forme : l’hiver aura été gras, trop gras, il aurait peut-être fallu amincir tout ce que je pèse, mais je n’en ai pas eu la force, je me suis laissé aller, glisser le long d’une pente un peu trop inclinée à la lourdeur naturelle. Ce n’est pas grave, non, je me tiens debout, mets un pied devant l’autre, ce n’est pas que ce soit grave, non, c’est que mon nombril, qui proémine là où il se dresse en haut de son petit monticule ventripotent, je le vois un peu trop à mon goût. Or, il faudrait qu’il se fasse plus discret, plus modeste, qu’il se méfie, on n’a rien à lui envier, d’autant que, une fois que né, de nombril, on s’en pourrait dispenser.