Pas de rayon de soleil aujourd’hui, — mais de cela faut-il aussi s’en étonner ? Hier au soir, alors que je peinais à trouver le sommeil, j’ai eu l’impression de tomber dans les abîmes infinis du sens : on ne savait pas si le président de la République avait dit « les meutes » ou bien « l’émeute ». À 21:42, nous racontait le journal, il avait dit : « L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple. » À 22:16, « Les meutes ne l’emportent pas sur les représentants du peuple. » Et, enfin, à 23:50, « L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple. » Un peu comme si se jouait, avec les aléas de l’homophonie et la profondeur inaudible de la grammaire, les verbes du premier groupe ne faisant pas entendre la différence entre la troisième personne du singulier et la troisième personne du pluriel, quelque chose du destin de la France. Ô sublime langue ! Au-delà de la possibilité d’une confusion intentionnelle, et d’un cynisme fondamentalement banal, il fallait comprendre que le langage n’appartient à personne, qu’il est là pour tout le monde, Jupiter comme les qui ne sont rien, qui signifie inlassablement même quand on préférerait qu’il la ferme. Signifier, signifier toujours plus, signifier sans jamais faillir, mais parfois trahir, c’est ce que le langage fait. Cet antimystère du langage, on le confond souvent avec son contraire, une dimension mystique qui touche à l’ineffable, à ses bornes. Or, de borne, justement, le langage n’en a pas : quoi que l’on fasse, lui dit toujours. Et s’il semble exprimer à nos dépens, c’est que nous ne le comprenons pas, ne l’acceptons pas pour ce qu’il est, à la fois le public même et ce qui touche à notre plus intime. Non que tout soit langage, mais tout passe par le langage. Le langage est le passage obligé de l’humanité. Sa merveille et son drame, si l’on veut dire les choses ainsi. Mais ce midi, alors que le chef de meute ou d’émeute, Dieu seul sait comment désormais il faut l’entendre, alors qu’il parlait pour dire je ne sais quoi, rien probablement, je ne l’ai pas écouté, mais le langage. Il faudrait accepter de se taire, non pour faire silence, mais pour entendre le langage, entendre ce qui pousse à l’expression, ce qui pousse à la signification. Je crois que, au fond, ce qui pousse à l’expression, ce qui pousse à la signification, c’est la vie même. On confond ce phénomène naturel avec la parole, avec le fait de devoir la prendre, de vouloir la prendre, de ne pas vouloir la passer. Or, c’est tout le contraire, pour entendre le langage, il faut avoir le courage de céder la parole. C’est comme avec le pouvoir : qui ne s’en déprend pas, s’y laisse prendre. Et parle pour ne plus rien dire. De toute façon, qui l’écoute ? Pas moi.