vingt-cinq mars deux mille vingt-trois

La voisine, du genre à crier comme une actrice porno, baise la fenêtre ouverte (celle qui donne sur la cour intérieure laquelle fait caisse de résonance), — toute une philosophie de la vie. Pourquoi n’entend-on jamais les hommes crier quand ils jouissent ? Ou, du moins, sont-ce les phrases que je note dans mon carnet. Samedi, le matin. Traces de la vie telle qu’elle a lieu dans sa réalité non jugée. Moi, en tout cas, la vie, je ne la juge pas, je l’accueille, c’est si facile, elle est là, il suffit de ne rien faire, de ne rien attendre, de ne rien désirer, de ne rien vouloir, d’exister, c’est tout. Est-ce qu’écrire, c’est exister ? Bien sûr que oui, sinon quoi ? Entend-on les hommes crier quand ils jouissent ? Je ne sais pas. Pas aussi fort que les femmes, c’est certain. Était-ce elle, déjà, qui hurlait à en faire trembler les murs de la cour alors que nous habitions là, il y a cinq ans de cela ? Sans doute pas. C’était son clone. Ou celle dont elle est le clone. Ou alors est-ce mon oreille qui n’entend pas ? Est-ce que je crie quand je jouis, moi ? Mon Dieu, quelle question ! Faut-il donc que je baisse mon pantalon ? N’est-ce pas à cela que doit servir un carnet : noter la vie telle qu’elle est, histoire de ne pas l’oublier, faire l’histoire de cette absence d’oubli dont le carnet est la preuve ? Quand elle sera vieille, la voisine du dessus, qu’elle se retiendra de crier pour que ses enfants ne l’entendent pas, ou quand elle sera tout simplement trop vieille pour crier quand elle baise, tout simplement trop vieille pour baiser, moi, j’aurais toujours la trace de sa vie passée écrite dans mon carnet, elle, elle aura tout oublié, sans doute, qui quand comment, mais mon carnet, lui, non, rien. Comment s’appelle-t-elle, ma voisine du dessus ? Je ne sais rien ni ne veux le savoir. C’est la vie qui m’importe, qui nous traverse tous, indifféremment, impersonnellement, nous, qui nous pensons libres, et ne faisons que vivre. Un jour, le corps réclame enfant et l’esprit, cette fiction, s’imagine le vouloir. Comme la pierre, quand elle prend son envol en tête du cortège, s’imagine être au principe de son mouvement. Le bras qui la lance aussi, quand c’est quelque chose d’inouï, d’élastique, qui s’élance. Physique de la politique. Cavités emplies de sang. Font bam, bam, bam. Tel est le bruit de la vie. Aveugle vie.