vingt-sept mars deux mille vingt-trois

Marcher, marcher. Pour redresser le corps, aérer les idées, se sentir exister. Même si je tourne en rond, la boucle est belle sur la carte gps, et je sais que j’avance. À présent, j’ai les pieds qui brûlent un peu. Mais c’est une sensation agréable, en réalité. Cependant que je marchais, il y avait des images qui apparaissaient derrière les yeux et puis des phrases aussi que je me disais en silence et, s’il me semble que j’ai tout oublié d’elles, ce n’est pas grave, ce n’est pas pour me souvenir de quelque chose que je suis allé marcher, c’est pour faire disparaître tout ce qui alourdit, appesantit, ralentit, cause défaut à la vivacité, à l’allant des choses, nuit à la légèreté de la langue, à la légèreté du corps, de toute l’organisation. Avant de sortir, j’ai procédé à une sorte d’auto-analyse éclair au terme de laquelle il m’est apparu que j’étais heureux. Je voudrais — comment dire ? intensifier ? intensifier certaines dimensions de l’existence ? allez d’accord, disons-le ainsi — je voudrais intensifier certaines dimensions de mon existence, creuser plus profond ici ou, au contraire, affiner, dégrossir, alléger là, mais la forme générale de mon existence, cette espèce d’équilibre d’ensemble de ce que je vis, je n’en voudrais rien changer. Et c’est important de se le dire, non pour les joies que procure l’autosatisfaction, je n’y crois guère à celles-là, mais pour sentir qu’on est libre de toute aigreur, qu’on s’est dépris de tout la rancœur qui retient, qui arrête, qui empêche, qui blesse comme une main qui t’attraperait par le col alors que tu serais en train de t’en aller et essaierait de te faire chuter en arrière en te projetant au sol, geste surprise que tu sens au niveau du cou, la pomme d’adam cisaillée par le vêtement devenu lame tranchante sous la violence du geste ennemi. Il faut partir loin, tout laisser derrière soi de la haine, de l’envie, ce maldésir, se concenter sur quelque chose, savoir que l’on peut glisser, déraper, percevoir que l’on glisse, dérape, voire tombe, et redresser la course, se remettre sur pieds, marcher, marcher, comme dit le chant. La vérité, c’est qu’il y a toujours quelque chose qui te contredit, qui cherche à te nuire, à te détruire, et cela, il faut le refuser, ne pas s’y plier, moins le contester, le réfuter, qu’affirmer autre chose, bien sûr que le pouvoir nie toute autre raison que la sienne et c’est la raison même pour laquelle il déraisonne et finit toujours par perdre la tête et s’agenouiller devant les vaincus. Il se peut que cela prenne mille ans, mais toujours arrive.