Une phrase intéressante au début de Paris sous tension d’Éric Hazan dont R. m’a parlé. « Ma conviction, écrit Hazan, est que Paris est encore ce qu’il a été pendant plus de deux siècles : le grand champ de bataille de la guerre civile en France entre aristocrates et sans-culottes — et peu importe les noms qu’on peut leur donner aujourd’hui. » Et cette gêne que je ressens immédiatement à la lecture : « peu importe les noms qu’on peut leur donner aujourd’hui. » Or, je crois qu’on ne peut pas faire l’économie du langage. D’une part, parce que ce qu’on ne peut pas dire clairement échappe toujours, demeure caché, incompréhensible. D’autre part, parce que le langage est capturé et les mots détournés de leur sens pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils veulent dire. Ainsi, quand en 2016 M. Macron a publié son livre Révolution, il introduisit volontairement une confusion sémantique dont il entendait tirer profit. Et soit dit en passant, il a parfaitement réussi son opération de rebranding. Or, cela même — qu’il ait parfaitement réussi son entreprise de confusion sémantique et de conquête du pouvoir —, qu’est-ce que cela signifie sinon qu’on ne peut pas faire l’économie d’une analyse du langage et, partant, d’une reconquête du langage. Il ne faut pas laisser le langage être dévoyé parce que, avec ce dévoiement, c’est le dévoiement de la société dans son ensemble qui est rendu possible. Si « révolution » peut signifier tout et n’importe quoi, y compris le contraire de ce que signifiait la Révolution française, qu’est-ce à dire sinon que, au bout d’un peu plus de deux siècles, elle se solde finalement par un échec ? Ce que signifiait la révolution, c’est qu’il ne suffit pas d’avoir des lois, encore faut-il que ces lois soient justes. Des lois injustes sont peut-être des lois, mais cela n’est pas acceptable et doit conduire à renverser ceux qui en sont à l’origine. Au fond, ce sont eux qui sont injustes, les lois n’étant que l’expression de leur pouvoir. Cet état d’une société qui s’est donnée des lois justes s’appelle république. Et la conversation par laquelle on parvient à la république s’appelle désormais démocratie. Quand cette conversation n’est pas possible, la constitution de l’An I prévoyait d’avoir recours à d’autres moyens : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Il est probable que ce soit là le vrai sens politique du mot révolution. Et les mots, les phrases qu’on forme avec, et l’ensemble du langage qui les rend possible sont trop importants pour qu’on les laisse être manipulés à des fins indignes.