Lire. Je sais qu’à force de, certains jours comme celui-ci, je pourrais me dispenser d’écrire, mais ce serait un tort. J’ai le sentiment qu’il me manque un grand dessein, mais est-ce vraiment le cas ? Ce journal en est une forme, le projet Paris, une autre, et l’idée que je me fais d’un possible livre pas encore écrit, inconnu et de tous les autres, aussi. Je lis. À cause du temps qu’il fait (ce n’est pas un bulletin météo), de l’incompréhension si grande dans laquelle me pousse l’usage de la démocratie, ou plutôt son mésusage, par nécessité de tirer les choses au clair, fussent-elles, ces choses, mes propres idées, ou celles qui ont cours dans le vaste monde. Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est peut-être la même question que : Qu’est-ce que l’histoire ? Et faut-il s’étonner, lisant l’introduction que Michelet a placée en tête de son Histoire de la Révolution française, de lire ces trois noms comme une manière de sainte trinité : Voltaire, Molière, Rabelais ? Une note érudite de l’édition de la Pléiade mentionne cet extrait de l’introduction du Paris Guide, par les principaux écrivains et artistes de la France de Victor Hugo que voici : « Rabelais, Molière et Voltaire, cette trinité de la raison, qu’on nous passe le mot, Rabelais le Père, Molière le Fils, Voltaire l’Esprit, ce triple éclat de rire, gaulois au seizième, humain au dix-septième, cosmopolite au dix-huitième, c’est Paris. » Évidemment, le trait semble un peu raide, mais n’en possède-t-il pas pour autant une profonde vérité ? Et si je relis Rabelais, en même temps que j’ouvre Michelet, n’est-ce pas pour le meilleur du hasard ? Pourquoi me suis-je décidé à rouvrir Rabelais ? Pour comprendre quelle pouvait bien être la nature du souffle comique. Parce que je me posais la question grave et sérieuse : Comment rire aujourd’hui ? Pourquoi me décidé-je enfin à ouvrir grand Michelet ? Pour comprendre ce qu’est la nature du souffle historique. Parce que je me posais la question contemporaine : Qu’est-ce que la Révolution ? Qu’est-ce que la Révolution ? c’est la même question que celle-ci : Qu’est-ce que mon histoire ? ou encore : Comment se fait-il que je me trouve moi, aujourd’hui, ce mercredi vingt-neuf mars deux mille vingt-trois, ici, à Paris, à écrire, à lire et à écrire, à me demander ce qu’est le sens de l’histoire, ce qu’est le sens de l’époque qui celle à laquelle nous vivons nous, ici et maintenant, c’est-à-dire : Qu’est-ce que la Révolution française ? Sans elle, je ne serais pas ici, et rien de ce que nous vivons n’aurait lieu. N’est-ce pas d’une grande puissance, que de prendre conscience de cette coïncidence entre l’histoire du monde et la mienne ? Mais a-t-elle quoi que ce soit de fortuit, cette coïncidence ? Tombe-t-on ici ou là par le plus grand des hasards ou ce hasard, si grand qu’il semble, exprime-t-il quelque sens qu’il nous appartient de mettre au jour dans son maximum de clarté ? Qu’est-ce qu’écrire sinon mettre au jour la rencontre de tous les destins dans le maximum de sa clarté ? Et porter le destin à son maximum d’intensité.