premier avril deux mille vingt-trois

Projectile Paris, ce pourrait n’être pas un nom, au sens où Paris serait un projectile (Paris = projectile), par exemple, mais une épithète, homérique, sans doute pas, non, il ne faut pas raconter n’importe quoi, mais orsonique peut-être (même si, sa mère, à Orsoni, comme on sait, il y a bien longtemps qu’elle n’est). Paris n’est pas un projectile, comme une balle l’est, mais projectile, comme balle l’est. Disons alors que, contrairement à l’idée que l’on se fait des villes — des points sur des cartes qui ne bougent pas, demeurent toujours au même endroit, c’est même à ça que sert la géographie, ou alors se déplacent en changeant de nom quand les gens s’en vont, c’est à ça que servent les guerres, non ? —, Paris aurait la propriété d’aller vers l’avant. Oui, mais où ? Les frontières de Paris sont sans cesse repoussées, Éric Hazan le dit bien, qui emprunte volontiers la métaphore de l’oignon à l’image duquel Paris aurait grandi et devrait grandir encore, incorporant les couronnes successives qui l’entourent, l’encerclent. Mais ce n’est pas ce que je veux dire. Qu’est-ce que je veux dire ? Peut-être ceci que, quelles que soient ses frontières extérieures, Paris est projectile de l’intérieur, l’intérieur de Paris, où que ce soit qu’il s’arrête au dehors, n’est pas une essence fixe, figée, mais caractérisée par la motilité. Paris canaille, Paris marlou, Paris bandit, Paris motile. Question de spontanéité quand tout bouge sans que l’on ne sache où aller. Toutes les villes ne le sont-elles ? Mon point de vue, c’est que non. Ce matin, j’ai ajouté des pages au dossier qui s’appelle encore projet Paris, mais pour combien de temps encore ? Et la veille, dans le dessein (accompli) d’envoyer Sainte Toulmonde la pauvre au susnommé Éric Hazan, j’ai utilisé une de ces vieilles cartes que nous nous étions faites, Nelly et moi, ce sont d’ailleurs nos deux noms qui y figurent (« Nelly & Jérôme Orsoni »), des cartes où écrire et sur lesquelles se trouvent notre adresse, toujours la même, des cartes que nous nous étions faites quelques années avant de partir de Paris, et le fait qu’il en reste encore, de ces cartes, que je ne les ai pas toutes données à Daphné pour qu’elle dessine dessus quand nous vivions encore à Marseille, c’est-à-dire aussi le fait que nous ayons conversé la même adresse, malgré le temps et la distance qui nous sépare de nous-mêmes, ces faits-là sont éloquents en soi. En tout cas, c’est ainsi que je les prends ; — pour des manières de révélations minuscules qui ne sont probablement pas étrangères au sens que l’on peut donner à la vie. Depuis ce matin, de l’autre côté du boulevard, au numéro 60, au piètrement nommé Terry’s Café, un véhicule de curage, forage, débouchage pompe la merde accumulée dans l’arrière-boutique dudit café sans que cela ne semble déranger le moins du monde les clients attablés, mais moi, oui. Preuve, s’il en fallait donner une, que Paris, malgré tout ce qu’on peut dire d’autre qu’elle est, que Paris est un mystère.