trois avril deux mille vingt trois

Jeudi vingt-six décembre deux mille treize. Ou comment, suite à des échanges de messages avec R., je remets sur le métier ce livre que j’avais commencé à Gênes, je m’en souviens très exactement, dans une chambre d’hôtel. J’écris à Nelly pour lui demander la date et l’endroit précis. Les voici donc : le vingt-six décembre deux mille treize au Grand Hotel Savoia. Durant ce séjour, il avait plu à verse à Gênes, mais nous étions si heureux. Trempés et frigorifiés, nous heurtant à la ville fermée, c’était le lendemain de Noël, nous avions commandé des clubs sandwich au room service de l’hôtel. Et c’est là, dans le lit de cette chambre d’hôtel que j’ai écrit le début de ce livre que je n’ai jamais fini. M’apprêtant à les relire, ce matin, je m’attendais à trouver dans ces pages quelqu’un de très différent de celui que je suis désormais, mais en fait, non : je n’ai pas tellement changé. On trouve dans ce texte des thèmes que j’ai développés ensuite dans tous mes livres, y compris ceux que je n’ai pas publiés, mais c’est surtout la forme qui a quelque chose fascinant, se développant par remarques, aphorismes, courts blocs de texte, tout ce que j’avais appelé des « versions ». Alors, comme si rien ne me séparait du moi que j’étais dix ans plus tôt, j’écris quatre versions supplémentaires. Comme j’avais pris le soin d’écrire la dernière avant d’abandonner le texte, il ne m’en reste donc plus que quarante-cinq à écrire et le plan que j’avais projeté quand j’ai commencé à organiser le texte dans l’idée d’en faire un livre sera complété. Mais pourquoi ? Pourquoi ne laissé-je pas ce texte à l’état d’abandon dans lequel je l’ai laissé tomber il y a quelques années de cela quand je me suis décidé à écrire autre chose ? En le lisant, j’ai trouvé qu’il avait une folie, une spontanéité qui m’ont paru si belles, si fortes, et une inventivité aussi, une liberté qui font peut-être partie des raisons pour lesquelles j’ai abandonné ce texte : qui aurait bien pu vouloir publier un tel livre ? Aujourd’hui encore, la question se pose : qui pourra bien vouloir publier cela, qui ne ressemble strictement à rien ? On y trouve bien des influences — on n’a pas besoin de les chercher, pour la plupart, elles sont explicitées —, mais rien de comparable, même ce que j’ai fait par la suite n’y ressemble pas. Si je l’ai relu, c’est pour l’envoyer à R., mais à présent, j’hésite : s’il ne l’aime pas, s’il n’en veut pas, ne vais-je pas abandonner ce texte encore une fois ? Je ne sais pas. Peut-être dois-je  donc continuer d’avancer seul, comme je l’ai toujours fait, ne penser à rien ni à personne d’autre que la nature de mon texte et son économie propre, ne rien prendre en considération que le développement organique — comme celui d’une plante qui n’est pas morte, bien au contraire — de mon écriture. Qu’y a-t-il d’autre à faire ? Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir redécouvert ce texte. Puissé-je trouver la force de le mener à son terme.