sept avril deux mille vingt-trois

Frissons en terminant le chapitre IX. de la découverte de la singularité. Peut-être est-ce le froid. Mais il ne fait pas froid. Ce matin, les choses se sont mises en marche de manière spontanée, comme si je n’avais plus qu’à les laisser être, les laisser aller. Et, à l’instant, en début d’après-midi, après avoir fait diverses choses entretemps, alors que je ne m’attendais pas à ce qu’elles reviennent, pas aujourd’hui, du moins, peut-être demain, elles se sont de nouveau exprimées. Tout ce qu’il faut faire pour écrire, ai-je envie de dire, c’est se rendre disponible à la spontanéité. Mais cela, ce rendre disponible ne s’ordonne pas, il vient ; il peut se préparer, mais il n’obéit pas, pas plus que la spontanéité, et donc l’écriture, qui a lieu. Cet avoir lieu, cette spontanéité, c’est ce que la conception étroite de la rationalité, la conception cumulative de la rationalité, ne peut pas comprendre, parce qu’elle a besoin de réduire les choses inconnues à des choses déjà connues ; c’est ce qu’elle appelle des « mesures objectives », mais qui ne le sont pas, qui ne sont que des réductions. Le discrédit dans lequel est tombée l’idée d’originalité n’est pas le discrédit de l’originalité elle-même, mais l’expression de l’angoisse qui saisit la rationalité cumulative quand cette dernière est confrontée à l’inconnu, quand elle ne peut pas réduire le nouveau à du déjà connu. Le discrédit de l’idée d’originalité exprime l’obsession du profit qui motive la rationalité cumulative : il faut que les choses se vendent, qu’elles rapportent ; l’originalité menace cet ordre, elle le sape, — il n’y a pas de public pour ce qui n’existe pas encore. L’originalité ne vend pas une énième nouveauté ; là où la rationalité cumulative encadre, réduit, borne elle invente du nouveau, elle donne de l’existence, elle dépasse les cadres, outrepasse les bornes. Hier, cependant que la manifestation passait en bas de chez moi, je regardais ces gens, si différents les uns des autres, qui défilaient dans le bruit et la joie. Certains montaient sur le toit des abribus pour y danser, d’autres détournaient ces affiches publicitaires qui défigurent l’espace public. Sur l’un de ces détournements, on pouvait lire l’inscription SOUTIEN AUX ÉBOUEURS, et voir des rats dessinés un peu partout. Rien n’avait été oublié, pas même le nom de la marque, ironiquement rebaptisée RACOSTE. Ce qui était frappant, c’était l’inventivité dont faisaient preuve ces gens qui dansaient, chantaient, criaient, détournaient, critiquaient, buvaient des coups, allaient et venaient, et à quel point cette inventivité contrastait avec la rigidité du pouvoir, la raideur de l’ordre — lourd, lent, triste, mesquin, cupide, avare — qu’on nous avait présenté, quelques années plus tôt, comme l’incarnation de la modernité. Qu’elle paraissait vieille et dépassée, cette modernité si jeune pourtant. Elle était déjà d’un autre temps avec lequel on ne pouvait qu’avoir hâte d’en finir une bonne fois pour toutes.