huit avril deux mille vingt-trois

Un monde envahi par les touristes, qu’en attendre ? Et puis que lui opposer ? Chacun chez soi ? Chaque modification de la sensibilité est irréversible. En sorte qu’on avance sans savoir où. Quelquefois, cette avancée aveugle semble formidable,  promesse d’aventures et de découvertes, mais la plupart du temps il faut bien se résigner : qui peut bien désirer un monde qui sera une version intensifiée du nôtre ? Avec le tourisme, ce sont d’innombrables formes de vie qui disparaissent et là où l’on pouvait naguère encore se réjouir que les cultures se rencontrent et dialoguent entre elles, imaginer un grand métissage à venir, on ne voit plus guère qu’une forme unique, burger à toute heure, une version insignifiante de l’Amérique partout sur terre. Qu’est-ce à dire, que la terre est trop petite pour toi ? Quand je suis sorti tout à l’heure pour profiter de la belle atmosphère de printemps qui régnait dans Paris, je n’ai pas été désespéré par la surabondance de population ni par le fait que, parmi cette population surabondante, la majorité était des péquenots en vadrouille, j’ai simplement trouvé que ça manquait d’air, de cet air entre les choses qui fait tout le prix de la vie. Pourtant, je ne suis pas rentré chez moi. Ni n’ai violenté personne, j’ai continué mon périple minuscule en tâchant de conserver une attitude d’indifférence parfaite à l’endroit du monde qui m’entourait. Étais-je dans un autre (monde) ? Littéralement pas, j’étais là.  Et métaphoriquement ? Métaphoriquement non plus. Alors quoi ? Eh bien, je crois que je ne parviendrai jamais à accepter la grégarité fondamentale de l’espèce humaine. Pourtant, elle va de soi : nous sommes des animaux et toutes les tentatives — nombreuses — pour nous émanciper de cette origine animale semblent nous y reconduire de façon un peu plus brute. Nous sommes des brutes, si seulement nous pouvions être moins épaisses. L’évolution de la sensibilité est quelque chose d’imprévisible — qui aurait pu prédire en effet que la mise à disposition pour tous (ou quasi, et il y aurait beaucoup à dire sur ce « quasi », mais je ne me sens pas à la hauteur, pas aujourd’hui) de l’univers connu rendrait l’humanité encore plus insupportable, encore plus inacceptable, encore plus inadmissible ? Nous aurions dû nous émanciper et nous sommes toujours plus aliénés. Quand on lit sur les murs gris RÉVOLUTION écrit en grosses lettres rouges, on songe d’abord à une plaisanterie et puis on prend conscience que, plus c’est écrit gros, et plus l’évidence est grande que nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans les zones profondes de la domination. Pourtant, c’était une belle journée de printemps, mais j’aurais préféré la vivre sur une île plutôt que dans ce monde-ci où Paris se voit livrée terrasses grand ouvertes aux hordes imbéciles de la modernité.