seize avril deux mille vingt-trois

Certes non, la colère ne résout rien, mais qui peut ne pas l’être — en colère ? En colère, comme on dirait : en état de grâce. Et puis, qui a dit que la colère devait être une solution ? N’est-elle pas bien plus, une condition d’existence ? Aujourd’hui, de la colère, j’en suis loin, je serais plutôt du genre à passer la journée à dormir, mais non, nous allons marcher, faire une petite traversée de Paris, VI, XIV, V, VI, quasi une progression harmonique, boucle qui se referme parfaitement sur elle-même. Pourquoi ai-je parlé de colère ? Je ne sais pas. Enfin, je ne sais pas pourquoi  j’en ai parlé aujourd’hui. Le fait est que je suis bien moins en colère depuis que nous sommes revenus vivre à Paris. Je me sens à ma place ici. Je n’ignore pas que la vie est loin d’être parfaite — pour moi, pour les autres —, mais je ne me vois pas vivre ailleurs qu’ici, dans une autre ville, c’est-à-dire, dans un coin de campagne ou une île, à mi-temps, je l’ai déjà dit, oui, mais pas dans une autre ville que Paris. Qu’il ait fallu quitter Paris pendant cinq ans pour que cette vérité parvienne à ma conscience sans que je la rejette, sans qu’elle ne suscite de colère, c’est une chance : j’ai de la chance que cet événement se soit produit dans ma vie. Il aurait pu ne jamais se produire et alors je n’aurais plus été qu’une boule de colère, non, pas de colère, une boule d’aigreur. La colère, c’est autre chose : c’est l’état du monde, l’état de la société qui la cause et il ne faut pas s’efforcer de l’apaiser, au contraire, il faut la comprendre pour ce qu’elle est, comprendre ce qu’elle signifie, quelle direction elle indique. Il faut être un refuge pour la colère, lui offrir un havre où elle puisse s’épanouir, où elle puisse s’exprimer, où elle puisse s’approfondir, se métaboliser, devenir pur possible, utopie inouïe, éclosion de la vérité. Tout est faux et cette idée, cette idée ne peut pas te laisser en paix. Si tu es en paix, c’est que tu es usé, résigné, défait. Il y a les défaites que l’on subit et il y a celles que l’on accepte. Ce sont ces dernières qui font de nous des perdants, des vaincus. Il faut ouvrir grand cet espace qui s’étend entre la résignation et l’aigreur, entre la défaite et la peur, ouvrir grand le monde possible, ne cesser jamais son éducation.