vingt-cinq avril deux mille vingt-trois

Grande paix. Le bonheur est un enclos dans un monde invivable. On voudrait le coloniser mais on ne le peut pas complètement, c’est une poche de résistance, il y a toujours quelque chose qui échappe, s’échappe, ouvre un passage vers ailleurs. Un panneau INTERDIT AU PUBLIC fixé sur des barrières métalliques empêche l’accès aux vieilles marches de pierre qui conduisent à la chapelle. Je les contourne. Tente de pousser la porte du petit édifice, mais elle est fermée. Je fais quelques pas en sens inverse, prenant le panneau à revers, dans l’herbe, des fleurs sauvages, jaunes et blanches, forment un tapis que j’essaie de ne pas piétiner, mais ai-je les pieds suffisamment légers ? Tout est lourdeur. Dans la presse, je lis que le PDG de Google, après avoir licencié 12000 de ses employés, a gagné 226000000 de dollars en 2022. Et dire que c’est cela, l’idée du bonheur de mon époque. Comment s’étonner que l’intelligence ne soit plus qu’une valeur moyenne, à mi-chemin entre la laideur et la voiture de luxe ? À quoi sert le langage si rien n’est réellement accessible à la conscience ? Alors, c’est la réalité qui nous échappe. Pourtant, tout est là, clair, lisible, que manque-t-il pour la comprendre, pour la faire sienne ? Je me retourne. Prends une, puis deux photographies de ce que je vois de là où je me trouve. Il y a quelque chose de parfait dans le rapport dynamique que cet espace, la photographie et moi nous entretenons, quelque chose de parfait en dépit de l’exiguïté de l’espace qui se trouve là, devant moi, et que je prends en photographie. C’est pour cette raison que, depuis quelques jours, je recommence à prendre des photographies de ce que je vois. Je ne crois pas à la photographie en tant qu’art, je ne crois plus vraiment à l’art de façon générale, et cette pratique n’est pas une pratique artistique, c’est une pratique documentaire, ce qui n’exclut pas l’esthétique. Je crois à la dimension esthétique du document qui date une impression, une émotion, une sensation, une idée, une perception lequel peut se substituer à la chose même (le lieu, par exemple, dont je disais hier que, le voyant, je voyais l’idée que j’avais eue à cet endroit même, et le conte, et toute la vie) pour la faire revivre, ouvrir un passage où c’est le monde qui se découvre, qui s’ouvre là devant soi. Je crois en quelque chose ; ce n’est pas si mal que ça.