six mai deux mille vingt-trois

1217 signes. C’est la quantité de langage que j’avais déjà accumulée quand je me suis aperçu que ce que je venais d’écrire n’était qu’un tissu de banalités  imbéciles et, par conséquent, impossibles à conserver. On croit avoir quelque chose à dire alors qu’en fait, non. Rien. J’ai considéré les banalités que je venais d’écrire et je me suis dit qu’elles ne méritaient pas d’exister. Aussi, ai-je pris tout cela, toute cette masse d’un langage dépourvu du moindre intérêt, et j’ai effacé. Geste d’annihiler on ne peut plus agréable, en vérité. C’est toute une partie de moi que j’ai détruite, ce faisant. Toute la bêtise à laquelle j’accorde de l’importance parce que c’est ma bêtise, je l’ai traitée comme si c’était la bêtise d’un autre, et je l’ai détruite. Je suis sorti de moi, je me suis considéré comme si j’étais un autre et, dans mon for extérieur, je me suis indigné : Quelle plaie ! Comment on peut être si bête, à vrai dire, je l’ignore. Peut-être se laisse-t-on aller, se laisse-t-on glisser le long de sa propre existence, existence à laquelle on accorde une importance démesurée alors même qu’elle est profondément insignifiante. J’imagine que c’est un des risques du journal, non en tant que discipline, mais en tant que genre. Est-ce que mon journal est un journal en tant que genre ? J’espère que non. Mais alors, c’est quoi ? Sais pas. Il y a beaucoup d’indétermination, d’incertitudes, aussi. Ont-elles un avantage ? Je crois que oui. Lequel ? Rendre la réalité moins impersonnelle. Plus chaude. Moins lointaine. La réalité n’est pas un objet distant face auquel se trouve un sujet pensant (la définition du réalisme). La réalité est là, partout, en soi, même. Et la réalité n’est pas moins réelle d’être impersonnelle, elle cesse simplement d’être un objet, et moi, d’être un sujet : la réalité et moi, nous sommes faits de la même matière, il n’y a pas de scission, il y a des différences, certes, tout n’est pas égal, il faut faire des distinctions, mais il n’y pas d’opposition, pas de choc. Tout peut disparaître. Rien ne disparaît.