sept mai deux mille vingt-trois

Marché dix kilomètres sans avoir la moindre idée. Avoir une idée, était-ce le but ? Je ne crois pas. Quel était-il alors ? Marcher. N’étaient les touristes, la ville serait quasi déserte. On les reconnaît. J’entends : pas à l’idée de l’ethnie que suggère leur apparence physique. Non, à autre chose, qui tient l’attitude, peut-être, à l’allure,  sans doute, trop ou pas assez apprêtée, quelque chose en eux avoue : « Je ne suis pas d’ici. » L’un a semblé me héler, comme on hélerait quelque laquais. « S’il vous plaît ! », ai-je entendu, comme si j’étais à sa disposition. J’ai poursuivi mon chemin. Je crois qu’il a bien essayé de, mais en vain. Je n’étais disponible pour personne. À peine pour moi. Et encore, peut-être pas. Si j’avais été disponible pour moi, n’aurais-je pas eu une idée ? Pas nécessairement. Les idées ne se commandent pas. Il faut laisser divaguer ses pensées au gré du mouvement de ses pieds. Sorte de moine gyrovague du néant : ne rien prêcher, ne rien professer, n’avoir ni foi ni dogme, sans se laisser aller, aller. La ville, s’offrant aux touristes à qui elle renvoie l’image kitsch qu’ils désirent, se change en une caricature du style international, impersonnel, les mêmes fleurs artificielles ornent les façades de tous les cafés, on s’y précipite pour instagrammer la chose et reproduire la même image insignifiante qui a incité à venir visiter. Mais à quoi cela sert-il de se déplacer si c’est l’image que l’on désire ? L’image peut être n’importe où, sans même la chose, il y a bien longtemps que les images des choses ne sont plus des images des choses, elles existent sans les choses auxquelles elles sont indifférentes, qui lui sont indifférentes. Les choses tombent en désuétude, à notre phénoménologie ordinaire se substitue une phantasmologie universelle, indifférente à la réalité : peu importe que l’image ne soit fidèle à rien du tout, qu’elle montre quelque chose qui n’existe pas, un leurre, un faux-semblant, un mensonge, du moment que j’ai mon image, mon désir est satisfait. La réalité déréalisée est un gigantesque parc d’attraction où les désirs du touriste consommateur doivent être satisfaits sans délai ni halte. Qu’il y ait quelque chose à voir ou rien, quant à moi, cela m’indiffère. Je traverse le paysage les pieds légers. Comme si entre la mer d’Iroise où je me verrais voguer et mon quartier que je ne cesse d’arpenter, la distance ne signifiait rien. À vol d’oiseau, la mer = la terre.