Marcher ne marche pas. Si marcher ne résout rien — y a-t-il seulement quelque chose à résoudre ? —, néanmoins, marcher élucide. Question de posture, question d’allure, marcher redresse le corps tout entier, développe l’organologie que nous activons ce faisant, marcher élargit. Ayant marché deux heures dans les rues de Paris comme aujourd’hui (VI, XIV, XIII, V, VI), je pourrais plaindre mes pieds, mes pauvres pieds, mais je préfère prendre le mal qu’ils me font pour ce dont il est l’expression : le dehors qu’il montre, l’air entre les choses, à commencer, bien sûr, par l’air entre les orteils sans quoi je ne pourrais marcher. Zones plus ou moins vides, périphéries autour de centres variables, variations de densité, difficultés à respirer, il faudrait décrire aussi dans le vocabulaire de l’espace ressenti, perçu, un boulevard un jour férié, un parc ce même jour de printemps, les alentours d’un monument prisé des touristes, un tronçon de rue dont on se demande comment il se fait qu’il n’ait pas déjà été rendu piéton tant l’air y est vicié et l’axe peu stratégique. Traverser un espace le configure, donc. Mais configurer, ce n’est pas laisser des traces de son passage. La manie de laisser des traces de soi partout où l’on va me semble pathologique, symptôme de l’égoïsme absolutiste contemporain (perversion du libéralisme politique), comme si l’on ne supportait de ne pas se trouver reflété dans tout ce que l’on voit. Que le monde puisse se passer de moi, est-ce si difficile à accepter ? N’est-ce pas, pourtant, la première leçon que peuvent nous enseigner les choses ? Il faut passer. Ne pas alourdir le monde de signes dont il est déjà saturé. Il faut alléger l’existence, la réalité. Être une sorte d’activiste nominaliste, soustraire jusqu’à rendre l’univers à sa plus simple expression, laquelle est aussi sa quintessence, son esprit le plus pur. Aller léger. Marcher.