Que le grand écrivain se révèle un érotomane répugnant, le dandy un provincial acariâtre, le révolutionnaire une grenouille de bénitier, si nous étions des puristes, cela ne devrait guère nous étonner. Par purisme, je n’entends pas la haine morbide du mélange, la vie est mélange, assemblage, complémentarité, alliance, mais l’amour d’une chose pour ce qu’elle est dans sa spécificité, dans sa singularité, dans son unicité. Au lieu de quoi, nous ne pensons que par stéréotypes, par facilité, par réflexe, par commodité, sacrifiant toujours la précision sur l’autel de la caricature, oubliant toujours qu’il n’y a de beauté, de vérité, de perfection que dans les choses sans pareilles, seules en leur genre. Pour des raisons commerciales, on préfère les grossièretés, on se fabrique des petites idoles facilement remplaçables (il ne faudrait pas que, dans le jeu de la concurrence, un produit vienne à manquer), forçant ainsi les gens à jouer un rôle qui n’est pas fait pour eux parce qu’il n’est fait pour personne, à vivre des vies mortelles, tristes, rentables. Si ce que j’aime, c’est cette chose-ci, ce n’est pas une autre, et ne puis me satisfaire d’un succédané, d’un ersatz, d’une version dégradée parce que c’est tout ce qui est disponible sur le marché. Ainsi, fait-on voter les masses à qui, si elles se plaignent, on répond qu’elles n’ont que ce qu’elles méritent. Ah, le mérite, la belle affaire, presque aussi belle que la réussite. Or, quand on croit toucher au sommet, on s’aperçoit qu’on a les pieds dans le fumier. C’est la charme de la campagne, et c’est vrai qu’elle a son charme, on ne saurait le nier. Mais cela (fais le geste du doigt), n’est-ce pas loin de ce qu’on t’avait promis ? Les choses. Leur mélodie bizarre. Qui l’écoute entend jusqu’au fond de l’univers. À la fin de la semaine, le volume sonore réduit du boulevard laisse imaginer ce que pourrait être une tout autre vie. Qu’il y ait si peu de monde pour la vivre ne signifie pas qu’elle ne soit pas désirable mais que nous n’existons que par habitude, par automatisme irréfléchi, dans la sociologie triste de nos conventions. C’est comme ça, nous dit de sa voix éraillée le fatalisme auquel nous avons appris à nous résigner. Qui admire-t-on au fond ? Rien que des gens à notre portée, de peur d’être effrayé. C’est comme ça. Quel ennui. Avant de mettre un point final, je joue une mélodie bizarre sur le petit instrument de Daphné. J’oublie que le monde n’est pas fait de ces seules notes. Quelle étrange idée.