vingt-deux mais deux mille vingt-trois

Pour la première fois peut-être de son histoire, l’humanité accumule du progrès négatif. Il y bien des progrès qui améliorent la vie des gens, mais la plupart des progrès accomplis (pour ainsi dire) par l’humanité la détériorent en sorte que, si l’on faisait la somme des progrès qui améliorent et des progrès qui détériorent, on obtiendrait un résultat négatif. Le progrès négatif n’est pas une régression, il y a bien progrès au sens où on invente, innove, trouve des solutions plus performantes, etc., mais ce progrès dégrade la vie humaine (pollution, dérèglement climatique, dérèglement sanitaire, intellectuel, politique, esthétique, que sais-je encore ? je ne dresserai pas cette fastidieuse liste). Le problème de ce problème est qu’il y a de fortes chances pour que l’humanité ne sache pas comment se développer autrement que par le progrès, c’est-à-dire par intensification, augmentation, par le plus. Or, pour sortir de cette phase négative du progrès dans laquelle l’humanité est entrée, il faudrait justement une autre logique de développement que la logique du plus, une logique qui ne soit pas la logique du moins, mais qui soit différente, qui ne pense pas toujours vers l’avant, mais envisage le développement dans tous les sens à la fois. Au lieu de faire toujours la même chose, il faudrait multiplier les vitesses, les dimensions, les perspectives, les formes, les styles. Peut-être n’en sommes-nous pas capables, peut-être n’en sommes-nous pas encore capables. Et peut-être que le prochain progrès réel sera de changer notre conception du progrès, d’entendre les choses différemment, de les aborder différemment, de comprendre différemment notre place dans l’univers, trouver une sorte de point de vue cosmique où tout puisse être envisageable à la fois. Dans son conte, « l’Aleph » a probablement voulu montrer qu’un point duquel tout l’univers pouvait être vu était une illusion, et c’est une objection qu’il faut prendre en compte : qu’il n’y ait pas de point de vue cosmique (le point de vue de tous les points de vue) doit nous encourager à multiplier les points de vue (« point de vue », c’est une façon de parler) sur l’univers, chercher à être moins spécialiste, moins spécialisé que nous cessons de nous faire, mais à la fois plus humain et moins humain.