Brume transitive. Explication : Paris est dans la brume, je suis dans Paris, je suis dans la brume. Et je le sens, que je suis dans la brume, je la sens, la brume, dans ma barbe humide. Quand je passe ma main dedans, et puis dans mes cheveux aussi, je sens une fine pellicule d’eau qui s’y dépose. Je marche alors le long de la Seine, tout est gris, baigné dans cette nimbe d’irréalité, qui adoucit les contours, encore qu’elle n’étouffe pas le monde. Pour ce faire, il faudrait revenir avant la révolution industrielle, avant la civilisation à laquelle elle a donné naissance, et cela, ce n’est pas possible. On ne revient pas en arrière, on ne le peut pas, on avance, on avance encore, sans même savoir où l’on va. N’est-ce pas absurde ? Oui, évidemment que c’est absurde, mais il en va ainsi. Moi aussi, j’avance, ou plutôt je tourne en rond. Quand Paris disparaît à moitié derrière le voile du brouillard, je la trouve deux fois plus belle. Mon côté romantique, peut-être. Ou alors que l’espèce de flou qui s’empare du monde réel est propice à la rêverie, à l’imagination, aux divagations, à la pensée sans bornes. Autrement, c’est le règne de l’électricité, tout brille de la même intensité, et il fait comme jour, même en pleine nuit. Où trouvera-t-on refuge ? L’âme est morte parce qu’il n’y a plus de pénombre, plus de secret, plus d’intimité : tout est exposé. Le temps qu’il fait, réfractaire quelquefois, bien qu’il se réchauffe irréfragablement, oppose à cette tendance mortifère sa paradoxale opacité : on voit à travers, mais à condition de s’approcher. Le lointain le devient pour un court instant, il ne se traverse plus à grande vitesse, il se déplace avec nous. J’ai tourné quelque deux heures, ainsi, dans Paris, me réjouissant de ce climat : rien ne me plaît que l’état d’exception. Tout le reste, non pas l’ordinaire, mais la répétition, le recommencement, l’uniformité de la tâche, la production de la reproduction, me désespère, me plonge dans les profondeurs de l’ennui. Je suis comme un enfant qui voit la neige tomber, — je m’exclame moins pour le flocon que pour l’événement, c’est-à-dire : la fête. Le flocon, ou donc le nuage de brume. L’exception autorise la fête, en donne la possibilité. Mais elle ne peut pas devenir la règle. Il faut subir la météo, en espérant l’erreur de prévision. Car, à force de prévoir, on ne voit plus rien. Alors que la brume est claire. Elle ne trouble pas, elle enveloppe, révèle les choses autrement que nous avons l’habitude de les voir et, dès lors, ne les voyons plus. Elle rend attentif, plus vif. Qui ne se prendrait pas à espérer, par suite, quelque grand dérèglement ? Nouveau chapitre écrit pour loin de Thèbes, où il est notamment question du briquet de Néandertal.










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