7.3.17
Henri Michaux, à la fin du texte de ses « mouvements » : « Faute d’aura, éparpillons au moins nos effluves. » — Faute d’aura, est-ce un défaut ? Je ne crois pas qu’il parle d’une certaine « perte de l’aura » à la Benjamin, non, il me semble qu’il dit plutôt : « Comme, de toute façon, l’aura n’existe pas, faisons autre chose : dessinons, par exemple ! Oui ! Oui ! Traçons des signes ! » Oui, mais il y a, cependant, une idée dans le texte qui me pose problème (au sens où elle contredit cette interprétation). Michaux a écrit un peu avant :
Signes pour retrouver le don des langues
la sienne au moins que, sinon soi, qui la parlera ?
qui a tout d’une illusion, comme s’il y avait une langue qui était plus à soi qu’une autre, qui t’appartenait plus que celle que tout le monde parle — un « langage privé », ai-je tout d’abord eu envie de dire avant d’hésiter, et pourtant, n’est-ce pas effectivement de cela qu’il s’agit ? Bien sûr que la langue que nous parlons ne nous appartient pas et, par suite, la langue avec laquelle nous écrivons appartient à tout le monde, quelles que soient les opérations de chirurgie esthétique que nous puissions lui faire subir, et c’est d’ailleurs ce qui fait tout le prix d’écrire. Sinon, en fait, à quoi bon écrire ? Pour se parler tout seul ? Faire le point sur soi ? Mais tout cela, on peut le faire en silence, et sans écrire une ligne, ou en le gardant pour soi, petit totem personnel. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de tendu, comme un doute ou une hésitation, dans les signes de Michaux, entre le privé et le public, le moi et le tout le monde. Mais je n’entrevois pas la façon de relâcher cette tension pour dépasser la contradiction. Et moi, j’ai simplement envie de dire : — Heureusement qu’il n’y a pas d’aura, sinon les signes n’existeraient jamais que pour moi. — Mais peut-être que j’invente tout ça.
Ce matin, aucune envie de travailler, envie de partir à la place (c’est pour bientôt), pour changer, tout en sachant parfaitement que la destination ne changera essentiellement rien, mais ce n’est pas une question d’essence ; — c’est une question d’atmosphère. Je me suis demandé (comme souvent) si ce n’était pas une erreur, mais je sais que cette question n’a en fait aucun sens : la vie n’est pas une question de calcul. La vie, il faut la vivre (et tant pis si, formulée ainsi, cette phrase est une tautologie). Pourtant, je me suis mis au travail, ai fini ou presque une des trois traductions sur lesquelles je travaille (une des deux courtes, pas la longue, qui est pour cet été). Ensuite, je suis sorti, j’ai essayé une veste bleue style marin, mais je me suis trouvé trop gros, en partie parce que je me tiens un peu tassé, pas droit, ne fais pas vraiment l’effort de rentrer le ventre, c’est comme ça, qu’on se tient droit, pourtant, même si j’ai effectivement ce qu’on appelle du ventre, et puis non, le style marin breton, de toute façon, je ne crois pas que ce soit pour moi. Parce que je me trouve trop gros — énorme, c’est le mot qui me convient en vérité —, j’ai été pris d’une espèce de rage, et j’ai eu envie de fumer, mais en fait, non, je n’ai pas envie de fumer, c’est simplement que, comme il me semble l’avoir déjà remarqué, avant, quand je fumais, je contrôlais mes émotions avec une cigarette, ce que je ne veux plus faire maintenant. Du coup, j’ai crié, un peu, et je suis passé à autre chose.