28.3.17

Nietzsche_Olde_04

28.3.17

Aujourd’hui, j’ai écrit une première fois l’entrée de ce journal, et puis je l’ai supprimée parce que je l’ai trouvée d’un ennui mortel. J’y disais, en substance, que je m’ennuyais, mais c’était tellement bête que je me suis trouvé en train de détester la personne qui avait écrit ces lignes alors que cette personne, c’était moi. Je peux me détester, oui, ce n’est pas la question, mais je ne peux pas écrire quelque chose qui soit la cause que je me déteste. Non, si cela se produit, c’est que je raconte n’importe quoi, que j’écris mal. Et c’est une idée intéressante : écrire bien / écrire mal. Cet été, j’avais dit à un ami que je trouvais qu’un auteur — peu importe lequel — écrivait mal. Il m’avait répondu, de façon un peu méprisante, même si telle n’était son intention, que, lui, il ne savait pas ce que cela voulait dire écrire bien / écrire mal. Moi, oui, c’est ce que j’avais eu envie de lui répondre, mais je ne l’avais pas fait parce que la nuit était magnifique, que j’avais bu et que j’étais doucement ivre, mais pas trop, juste assez pour flotter légèrement dans l’air doux de l’été provençal, et que je n’avais pas envie de détruire cette perfection. J’y ai repensé il y a quelques jours, et donc à nouveau à l’instant : écrire bien / écrire mal, un peu comme Nietzsche quand il écrit que par-delà le bien et le mal, cela ne veut pas dire par-delà le bon et le mauvais. Il n’y a pas d’essence de la littérature, de l’écriture, et c’est tant mieux, mais 1) cela ne signifie pas que tu ne puisses pas rejeter certaines écritures comme néfastes, comme des maladies ou des symptômes de maladies et 2) le fait que ce soit un jugement personnel, qui ne prétende ni à l’objectivité ni à l’universalité, est justement ce qui en fait toute la valeur, puisque c’est un jugement de valeur, un jugement qui crée une valeur pour toi + ou -, plus de vie et moins de mort, plus de santé et moins de maladie. Il n’y a d’ailleurs que ce genre de jugement qui vaille quelque chose. Que vaudrait, en effet, un jugement universel, mais qui ne produirait pas plus de santé pour toi, qui serait vrai, oui, pour tout le monde, mais qui te laisserait indifférent, inchangé ? Le jugement que tu formules, il faut qu’il te fasse quelque chose, pour toi, il faut qu’il t’indique ce qu’il faut que tu fasses, la direction qu’il faut que tu prennes, les livres qu’il faut que tu écrives, les chansons qu’il faut que tu chantes, la femme qu’il faut que tu aimes. La vérité peut bien être vraie, si elle ne produit pas un supplément de vitalité, qu’est-ce que ça peut te faire ? Cela m’a semblé d’autant plus intéressant qu’à force de tout déconstruire, et n’importe quoi, l’idée qu’il puisse y avoir du plus (+) et du moins (-), des choses qui te font du bien et d’autres qui te font du mal, et que ce sont là des valeurs, des polarisations de l’existence, a fini par perdre tout son sens. Mais les pirouettes rhétoriques qui font briller les yeux des imbéciles (comme Baudrillard le Germain, par exemple, qui expliquait après le 11 septembre que le bien, c’était le mal et le mal, le bien) effacent les polarités alors que je sais que j’en ai besoin pour vivre, il faut que je puisse déterminer où est mon bien, bien qui ne prend pas de majuscule, qui est tout sauf une hypostase, mais qui exprime mon désir de vitalité. — Si j’écris mal, autant mourir, parce que c’est la même chose.