Je viens de finir la gaya scienza, que je n’avais jamais lue alors même que Nietzsche est le premier philosophe que j’ai lu. Et en lisant, je me suis surpris à sourire à certains passages que je trouvais quelque peu naïfs avant de m’apercevoir qu’ils l’étaient seulement parce que les connaissais par cœur et que ce qui prête à sourire dans cette gaie science, ce n’est pas tant la gaie science elle-même que le moi antérieur à moi-même qui a appris à penser ces pensées. Et qu’ainsi, au lieu de sourire à ces pensées avec un je-ne-sais-quoi de méprisant au coin des lèvres, je devrais plutôt y sourire comme je sourirais à l’enfant en moi, ou plutôt à l’enfant qui découvre le monde et dont l’activité est tout sauf risible parce qu’elle a des chances de changer le monde. Et surtout, combien nouveau semblent par contraste les passages consacrés à l’évolution, à la grande santé, ou aux Européens, les « “sans-patrie” » qui « aiment le danger, la guerre, l’aventure, qui ne se laissent pas accommoder, prendre, réconcilier ni laminer », conquérants, fondateurs de nouvelles hiérarchies et de nouveaux esclavages. Moins pour la lettre même qui peut être trompeuse que parce qu’ils sont tout d’affirmation. Et comme nous avons besoin d’affirmer, de dire oui au lieu de calculer, de compter les voix, de chercher l’utilité dans notre inaction, notre paresse, notre mollesse. « Le oui caché en vous est plus fort que toutes sortes de non et de peut-être, dont vous souffrez solidairement avec votre époque ; et même si vous deviez gagner la mer, vous autres émigrants, ce qui vous y pousserait, vous aussi serait encore — une croyance ! »