23.12.18

À quoi ai-je pensé à Saint-Rémy devant le petit monument érigée à la mémoire de Nostradamus ? À rien. J’avais mes Persol® sur le nez, et j’ai fait une photo pour conserver au moins une trace de cette merveilleuse journée d’hiver en Provence. J’aurais probablement mieux fait de prendre le paysage en photo, mais il est trop photogénique. C’est tellement beau que c’est trop beau. Celui qui se trouve là comme un idiot devant les plus beaux paysages du monde, comment ne serait-il pas envahi soudain par un sentiment totalement kitsch qu’il ne faut surtout pas immortaliser parce que ce que tu immortalises ce faisant, ce n’est pas le paysage, mais ton sentiment totalement kitsch ? Tu peux le faire, tu peux faire ce genre de photo, si l’on n’y prête pas attention, tu peux te dire que cela ne porte pas à conséquence, après tout, c’est une photo, ce n’est qu’une photo, mais la photogénie kitsch du paysage, et par suite du monde, la kitscherie du monde, n’est-ce pas aussi cela qui rend le monde invivable ? Aussi, tu veux dire avec quoi, en plus de quoi ? Je ne sais pas, avec le monde lui-même. Kitsch2. (Décidément.) Et puis, il me semble qu’il est bon qu’on ne puisse pas prédire le futur, ni en énigmes ni en équations. Il ne nous est pas caché. Non. Il n’a pas encore eu lieu. Les prédictions font comme si le futur avait déjà eu lieu, comme s’il n’y avait plus qu’à attendre que les choses se produisent pour de bon. Alors que non, rien n’est jamais fait. Rien n’est jamais fait avant que quelque chose soit fait. Passons sur cette tautologie. Le paysage est quand même magnifique. Même si c’est kitsch d’en parler comme ça. Comment en parler ? J’ai repris hier soir la lecture des Carnets de Cioran, j’ai sorti le volume de la bibliothèque avec celui des Cahiers de Lichtenberg, parmi les plus grands des aphoristes, l’un des joyeusement désespéré, l’autre désespérément joyeux. Façon de parler (ça ne veut rien dire). C’est probablement l’aphorisme, ma forme préférée. La plus excellente. La plus tendue. La plus pointue. La forme extrême de la pensée, du langage. Un anarchisme de la syntaxe. Un nominalisme de la formule. Rien de trop. Une demi-vérité et une vérité et demie, disait Karl Kraus, quoique cela veuille dire au juste. C’est justement cela, la force de l’aphorisme, son ouverture aux interprétations multiples, infinies, toujours à formuler. Sous la forme d’aphorismes. Multiplications à l’infini. Expansion du langage. Je me suis beaucoup adonné à cette forme d’écriture. Jamais rien publié de ce genre. Un jour, peut-être. « Corse, Andalousie, Provence, — cette planète n’aura donc pas été inutile », écrit Cioran dans ses Carnets. CQFD.

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