9.2.19

C’est vrai, je pourrais dire le contraire mais ce ne serait pas vrai, c’est vrai, certains jours, si je ne tenais pas ce journal, je n’écrirais pas et, c’est vrai aussi, c’est vrai qu’on peut tout reprocher au journal, de n’avoir pas de logique autre que chronologique, de ne pas vouloir dire grand-chose, en vérité, que ce que les jours veulent bien lui prêter, que le sujet n’est jamais qu’arbitraire, contingent, et tout ce que tu veux, et c’est vrai, oui, c’est absolument vrai, comme la vie, tu peux toujours te raconter que la vraie vie, c’est autre chose, mais la littérature, à supposer que ce soit la vraie vie, la littérature, c’est quoi ? Quand tu écris, la frontière entre la vraie vie, c’est-à-dire la littérature, et la vie, et tout le temps que tu consacres à écrire, à t’imaginer en train d’écrire, à envisager d’écrire, à taper, noter, grapher les signes les uns après les autres dans l’espoir qu’ils veuillent dire quelque chose dans l’ordre dans lequel tu les as mis, les uns après les autres, et même quand tu perds le fil, quand tu ne sais pus très bien ce que tu voulais dire, où passe-t-elle, la frontière ? Dans tes rêves ? Dans la réalité ? Tout est possible. Puisque tout est possible, écris. Est-ce que c’est ce que je voulais dire ? Je ne sais plus. Vraiment, je ne sais plus où est la vraie vie. Et surtout, où est la fausse vie. Quelle drôle d’idée, quand même, quelle drôle d’idée, que la vraie vie. Mais en fait, ce n’est pas ça qui a occupé mes pensées aujourd’hui. Je te dois la vérité. En plus du ménage, de la course à pied, de l’éventualité d’un déménagement, ce qui m’a occupé, c’est ce livre que j’ai traduit, le premier livre que j’ai traduit, et qui — systématiquement — disparaît des rayons des librairies parce que son éditeur ne songe pas, ne pense pas, ne veut pas, je ne sais pas, le réimprimer.  Les livres disparaissent, meurent de plus en plus vite. Ce que je ressens, moi, c’est principalement de la tristesse. Un peu de colère. Trop de colère. Parce que tout ce temps que tu passes à élaborer quelque chose, à le concevoir, et puis le faire, et le bonheur que tu ressens quand c’est enfin fait, tout cela ne compte pas grand-chose, par rapport aux chiffres de vente. Si tu te battais, tu te battrais contre plus fort que toi. Alors, j’envoie un mail poli pour demander si on ne pourrait pas réimprimer mon petit livre épuisé — ce n’est pas la première fois, en plus. On me dira oui, probablement. Mais je sais bien que c’est perdu d’avance. J’ai récrit ce passage parce que ce n’était pas la vérité. C’était un travestissement. Et que trop de fiel laisse un goût détestable dans la bouche. Peut-être que c’est moi qui ai tort, en plus. Peut-être. Après tout, qui sait ? Peut-être que les choses ont trop de sens et que c’est pour cela qu’elles en viennent à mourir. Par excès. IMG_20190207_173902.jpg