Il y a tellement de choses à dire qu’il y a trop de choses à dire. Et du coup, plus personne ne dit plus rien ? Ce serait tellement bien. Ce matin, en écrivant un texte dont je ne veux pas parler, j’ai pensé à cette expression le monde du silence et, à présent que j’y repense, je me dis que c’est une vieille expression, en ce sens que c’est une expression qui date d’une autre époque où ça pouvait encore faire rêver. Aujourd’hui, qui est-ce que ça fait rêver ? Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait rêver ? Je ne sais pas. Des débiles mentaux qui chantent des trucs de débiles mentaux autotunés ? Des meufs qui se prennent pour le centre du monde parce que le fait de montrer leurs fesses sur écran géant dans des stades remplis de décérébrés leur donne l’impression d’être féministes ? Devenir l’homme le plus riche du monde ? Ce qui veut dire, soit dit en passant, le plus gros connard du monde. Et si c’était une femme ? Ce serait la plus grosse connasse du monde. Je sais que c’est n’importe quoi ce que je raconte. Mais j’ai l’impression de comprendre et de ne pas comprendre. En même temps. C’est une impression étrange. Comme si tu te disais : ça ne sert à rien de critiquer la bêtise, la bêtise a déjà triomphé. Est-ce que j’ai déjà dit ça ? Oui, probablement. Mais je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Qu’est-ce que je veux dire, de toute façon ? Certainement pas que je rêve qu’un mec avec un bonnet rouge sur la tête ressuscite pour me révéler le sens de la vie, non, même si ce serait drôle. Imagine. J’étais en train d’écrire cette page de mon journal, une page qui ne valait pas dire grand-chose, je te l’accorde, mais j’avais envie de l’écrire alors je l’ai fait, bref, j’étais en train d’écrire cette page de journal quand tout à coup, tu devineras jamais qui j’ai vu, en face de moi. Le Commandant Cousteau. Je te jure, il était là, exactement comme toi, pareil, un peu plus à droite, ou à gauche, je ne sais plus, je te jure que c’est vrai. Non mais ça va, tu me connais, je peux inventer des histoires bizarres, mais le Commandant Cousteau, je n’irais pas jusque là. Dans le meilleur des cas, j’ai dû voir un Connaissance du monde quand j’étais petit avec ma mère et mon frère, je me souviens d’un docu sur le Yémen et d’un autre avec Haroun Tazieff, oui, un truc sur les volcans, forcément, enfin, je crois, je ne me souviens plus, celui sur le Yémen, si, j’en suis sûr, mais le Commandant Cousteau, honnêtement, je ne sais pas. Il était là, comme je te vois, et puis il s’est mis à me parler, je ne suis pas sûr d’avoir compris, sur la mer, la planète, c’est tout ce que j’ai retenu, en fait, je n’écoutais pas, j’étais tellement scié de le voir, comme ça, que je n’ai pas pu écouter un traître mot de ce qu’il me racontait. Au bout d’un moment, il a arrêté de parler, et je lui ai demandé : Non mais qu’est-ce que tu fous chez moi ? Tu es mort. Barre-toi de chez moi, con de mort ! Ah ouais, tu crois que je n’aurais pas dû ? Possible. Tu as peut-être raison. Mais bon, j’ai déjà assez de mal avec tous ces vivants qui parlent, si en plus il faut que j’écoute les morts. Non mais qu’est-ce que tu voudrais que je lui dise, moi, au Commandant Cousteau ? Commandant, avez-vous un ultime message a délivré aux vivants ? Comment ? Votre bonnet est troué. Oh, quelle métaphore ! Quelle profondeur ! Fascinant. Merci, mon Commandant, merci. Comme François Busnel à la télé. Non. Pas moyen. De toute façon, le monde dans lequel je vis n’est pas fait pour le silence. Alors bon. Tout à l’heure, je suis allé au supermarché chercher quelque chose que je n’ai pas trouvé. Tout était si bruyant. Et si sale. En garant ma voiture dans le parking, ça sentait tellement mauvais que j’ai cru que quelqu’un était mort et que son corps était encore là, en train de se décomposer. J’ai jeté un petit coup d’œil autour de moi, rien. Ce devait être l’odeur de l’accumulation de litres et de litres de pisse de clochard, ça, et les gaz d’échappement, la crasse qui s’accumule, personne qui ne nettoie jamais, c’est trop pourri, ça, et les emballages de macdo éclatés par terre, les morceaux grillés de vache morte, les frites, la graisse animale, végétale, rance, la sauce, les sodas, tout, tout ça, par terre, des couches de crasse sur des couches de crasse sur des couches de crasses, et quand tu remontes à la surface en te disant que tu vas enfin pouvoir respirer, c’est le bruit qui t’assomme, musique de débiles mentaux qui chantent des trucs de débiles mentaux autotunés, personne qui écoute, mais musique qui te rentre dans le cerveau pour ne plus en sortir, ou alors seulement bien plus tard des années plus tard, une dame est entrée en même que moi dans le supermarché, elle était au téléphone, quand je suis sorti du supermarché, je l’ai aperçue, elle était encore au téléphone, je suis redescendu au parking, j’ai essayé de retenir ma respiration, mais j’avais l’impression que ça sentait quand même, qu’est-ce que je suis venu faire ici, je me suis dit, qu’est-ce qu’on peut bien venir faire ici ? c’est l’antichambre de la mort, cet endroit, tous les endroits comme ça, la pointe avancée du progrès, la réalité. Et qu’est-ce qu’on fait dans la réalité, on attend de mourir ?
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