Je suis un peu comme cette femme au foyer qui décide un beau jour de tenir un blog de pâtisserie parce qu’elle aime bien la pâtisserie et qu’il faut bien faire quelque chose de sa vie, femme au foyer, ce n’est pas une vie. Mais à force de poster des recettes sur son blog, elle finit par se convaincre qu’elle n’est pas simplement une femme au foyer qui publie des recettes de pâtisserie sur son blog ; elle est pâtissière. Et c’est vrai qu’autour d’elle tout le monde lui dit que ces pâtisseries sont délicieuses. Cela ne lui suffit pas. Elle oublie qu’il ne faut pas croire ce que les gens disent. Jamais. Elle se lance. Et retombe. Après plusieurs tentatives plus ou moins ratées pour devenir pâtissière, un jour, un matin, disons, un lundi, un lundi matin, elle a une sorte de révélation négative : elle n’est pas pâtissière, non, rien qu’une femme au foyer qui tient un blog où elle poste des recettes de pâtisseries. En tout cas, moi, c’est ce que je me suis dit, tout à l’heure, j’étais allé courir, après avoir fait le ménage, après avoir reçu sur la tête les tonnes de merde qui doivent tomber sur la tête de quelqu’un pour qu’il prenne vraiment conscience que ce lundi matin est un lundi matin, et après être allé courir, je me suis dit, je suis un peu comme cette femme au foyer, oui, c’est vrai, mais n’est-il pas possible que cette femme au foyer en ait assez d’être une femme au foyer ? J’ai publié un certain nombre de livres et je me suis mis en tête, je ne sais pas trop pourquoi, ne ne sais pas trop comment, j’ai l’impression quelquefois que je n’y ai été pour rien, bref, je me suis persuadé que j’étais un écrivain alors qu’en fait je n’aurais jamais dû me laisser prendre à ce piège-là, je ne suis pas un écrivain, je suis simplement un type qui publie des textes sur son blog. Rien de plus. J’en ai peut-être assez, moi aussi, d’être une femme au foyer, mais c’est autre question. Je ne suis qu’un type qui publie des textes sur son blog. Et j’ai ajouté quelque chose. La vie n’est pas écrite dans un langage mystérieux. Parfois, tu fais semblant de ne pas la comprendre, parce que tu n’as pas envie de la comprendre, mais c’est pour te dispenser d’un examen sincère de ton existence. La vie n’est pas écrite dans une langue étrangère, tu sais lire, tu comprends, ce qu’il y a d’écrit, les métaphores sont rares, pour ne pas dire inexistantes, absentes, et il suffit de lire ce qu’il y a d’écrit sur les jours qui passent. Ces derniers temps, je le sais, j’ai fait semblant de ne pas savoir lire. Mais ce lundi matin, j’ai arrêté. Je n’ai plus envie de faire semblant. Je n’ai plus eu envie de feindre l’incompréhension. Ça n’a pas de sens, me suis-je répété, cent fois, mille fois, mais si, mais si. Tu t’efforces de ne pas le comprendre, sauf que tu fais semblant, si tu étais sincère avec toi-même, tu reconnaîtrais que tu sais parfaitement lire, que tu as déjà tout compris, que ce n’est pas la peine d’insister. Et puis, ce n’est pas triste, en fait, c’est simplement ce qu’il y a décrit sur les jours que tu vis, la langue de ton existence. Tu as appris à la parler, à la lire, à l’écrire, ne fais pas semblant de ne pas savoir, c’est absurde. Ridicule, même. Est-ce que tu ne te sens pas plus heureux, à présent ? À présent que tu ne fais plus semblant, ne te sens-tu pas bien plus léger, soulagé d’un poids qui te rendais lourd, lent, pénible à toi-même ?
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