25.6.19

Qu’est-ce qu’il faut croire ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Je ne sais pas. J’ai des idées, mais que veulent-elles dire ? Se peut-il qu’elles ne veuillent rien dire ? Aujourd’hui, j’ai traduit un petit texte de Morton Feldman dans lequel il présente au public de Middelburg son œuvre For Philip Guston. Il explique qu’il a composé cette œuvre parce qu’il s’était brouillé pour des raisons esthétiques avec Philip Guston (parce que celui-ci avait renoncé à l’abstraction) et que Guston a pourtant demandé qu’il dise le Kaddish lors de ses funérailles — ce qu’il a fait, dit-il. Et puis, un jour, quelqu’un qui voulait faire un livre sur Guston est venu voir Feldan pour lui demander ce qui se passait dans la tête de Guston. Et Feldman a répond qu’il avait arrêté de se poser des questions. Et il raconte au public de Middelburg que c’est à ce moment-là qu’il a su qu’il composerait une pièce dans laquelle il arrêterait de se poser des questions. Est-ce qu’un écrivain peut travailler comme ça ? En ne se posant pas de questions. Oui, je suppose que oui, un écrivain, ce n’est pas fondamentalement différent d’un compositeur, c’est peut-être simplement le médium, comme on dit, qui change. Est-ce que je voudrais écrire un livre qui ne se poserait pas de questions ? Peut-être. En tout cas, je suis de plus en plus convaincu qu’il faut partir sans savoir où l’on va, sans savoir ce que l’on va raconter, sans même avoir quelque chose à raconter. Tout le monde ayant quelque chose à raconter, eh bien, l’artiste, n’est-ce pas celui qui n’a rien à raconter, qui ne sait pas ce qu’il a à dire, qui ne sait pas ce qu’il va dire, qui invente ce qu’il dit en le disant, contre tous ces gens qui font profession de professer, les chercheurs de bonnes histoires qui sont convaincus que tout a déjà été fait, raconté, et tout et tout, et qui fouille dans les poubelles de l’histoire, dans les caniveaux des faits divers, dans les dessous sales de l’époque pour trouver des choses à raconter ? Mais si tout a déjà été fait, si tout a déjà été raconté, si toi, tu le penses, pourquoi est-ce que tu ne te contentes pas de ne rien faire ? Moi, je ne le pense pas. C’est pour cette raison que je ne suis pas et ne serai jamais postmoderne. Chaque fois que je ressens un désir, plutôt que de l’inhiber parce que je suis tétanisé, je devrais ne pas me poser la moindre question, et avancer avancer avancer, quand même il ferait noir.

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