Dans ton carnet, que fais-tu ? Cultives-tu le secret ? Non, si c’est ce que tu en conclus, c’est que tu n’as pas compris. Ce n’est pas le secret, le but — peut-être n’y a-t-il pas de but du tout —, ni même échapper à quoi que ce soit (la forme, le public, la totalité, et caetera). Alors quoi ? C’est quelque chose qui se sent. Si tu ne t’adresses qu’à l’espace immédiat, à qui t’entoure, il me semble que tu passes à côté d’une dimension importante de l’écriture, qui n’a pas besoin d’être publique (le langage est déjà public, de toute façon), ni même privée (elle n’a pas besoin de s’opposer à quoi que ce soit), mais besoin de s’adresser à ce qui n’existe pas, ce qui n’est pas encore.
L’écriture fait advenir ce qui n’est pas encore. Si c’est pour faire quelque chose qui a déjà été fait — dire quelque chose qui a déjà été dit —, écrire est vain.
Dans le supermarché, tout à l’heure, un livre a attiré mon attention. Pourquoi ? Je ne sais pas. C’était un livre écrit par une femme dont j’ignorais l’existence, mais qui (c’est ce que la couverture disait) était l’auteure d’un autre livre dont j’ignorais l’existence, mais dont j’ai appris en parcourant la quatrième de couverture qu’il s’était vendu à 1 million d’exemplaires en France. C’était un livre tout rose. Un livre fait pour le public. Un livre fait par le public.
Peu importe la couleur du livre.
Bien sûr que ce serait méprisant de parler de littérature de supermarché, mais les livres se vendent-ils dans les supermarchés — ou non ?
Qu’est-ce qui est méprisant : parler de littérature de supermarché ou vendre les livres dans les supermarchés ?
Y a-t-il autre chose que de la littérature de supermarché ? Toute littérature ne tend-elle pas à être de la littérature de supermarché ?
Par littérature, ici, j’entends tout ce qui s’imprime sous la forme du livre, peu importe son contenu.
Toute culture n’est-elle pas désormais de la culture de supermarché ?
Quand il n’y aura plus rien dans les villes, il y aura un supermarché, et un centre commercial autour, et une zone industrielle autour, et une ville à la périphérie du supermarché.
Civilisation du supermarché.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.