De nouveau, l’avion survole la ville. Je le prends en photographie. Ensuite, je regarde le monsieur qui vit dans l’immeuble en face, celui de gauche, au premier étage. Son tee-shirt (ou est-ce un polo ?) rentré dans son pantalon de jogging, aux pieds des pantoufles ouvertes, genre de sabots dans talons, le tout non pas gris, mais noir passé, il balaie son balcon. Avec méthode. Tous les jours. Enfin, je crois. Il balaie et puis il ramasse le fruit de son travail avec une pelle et jette le tout par-dessus le balcon. Jette ensuite un coup d’œil sur sa droite, mais je ne sais pas si c’est pour s’assurer que personne ne l’a vu (auquel cas, pourquoi ne regarde-t-il pas avant ?) ou si c’est pour s’informer de l’état du monde (auquel cas, pourquoi regarde-t-il seulement à droite ?). Et disparais de mon champ de vision. Tout à l’heure, je suis allé me promener. Parvenu à l’autre bout de la traverse Paul, passage magnifique, hors du temps, mais pas tout à fait, ici aussi les ordures sont présentes, que les gens jettent par terre, sales, je n’ai pas fait demi-tour comme avant-hier quand j’étais sorti courir, j’ai continué sur la gauche sur l’avenue Clot Bey avant de tourner à nouveau à gauche sur l’avenue de Hambourg pour rejoindre le pouce de César. Parvenu au premier rond-point assez hideux d’où, prenant à droite, on rejoint la mer, j’ai ressenti une certaine émotion, comme s’il m’arrivait quelque chose d’inédit alors que c’est un chemin parfaitement banal. Sauf qu’il y a plus d’un mois et demi que je ne m’étais pas rendu dans cette zone-là, obéissant strictement à la loi, demeurant demeuré dans mon kilomètre rond comme le périmètre où il m’est assigné de séjourner. Ce n’était pas beau, non, c’était émouvant. Pas kitsch, parce que j’avais conscience de la laideur de l’endroit, ou plutôt : de sa non-beauté, ce qui est pire, en un sens, de l’absence de beauté et de laideur de l’endroit où je me trouvais quand j’ai ressenti cette émotion, peut-être, me dis-je à présent, peut-être était-ce de la nostalgie, mais d’une forme étrange de nostalgie. Comment la nommer ? Je ne sais pas. Ensuite, je suis rentré chez moi. En fermant les yeux, à présent, je repense à quelque chose. Je n’étais pas seul dans cette fin de trajet. Il y avait aussi une dame qui me précédait. Elle portait un sac de courses et un masque, un dans chaque main. Elle m’a vu, mais elle ne m’a pas regardé. Je ne sais pas si elle l’a fait consciemment, mais je sais que, même si elle me précédait, elle a pris à plusieurs reprises des directions qui n’étaient pas le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre (changer de trottoir pour revenir 500 mètres plus loin sur le même trottoir où se trouvait son arrêt de bus), comme si elle m’évitait. Et cette idée, à présent que j’y repense, me semble étrange, certes — pourquoi chercher à éviter quelqu’un qui se trouve derrière soi et dont donc on ne risque pas de croiser le chemin ni de respirer de putatifs miasmes ? —, mais participer surtout de ce que j’appelle ici « nostalgie », une nostalgie de la raison, d’autant plus profonde et inévitable que son objet — la raison — n’a probablement jamais existé.
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